Archives du journal 2012-2014

Le lent dépérissement des marronniers amiénois

Le 16 November 2012
Enquête commentaires
Par Rémi Sanchez

Sur certains arbres du boulevard Alsace-Lorraine, les atteintes sont évidentes.

Le Chancre bactérien du marronnier. C'est le nom donné au mal. Insidieux, il laisse grandir de jeunes marronniers, fringants, à l'écorce lisse. Mais lorsque les arbres atteignent la maturité, les blessures, fissures de l'écorce laissent apparaître des coulées noirâtres, l'écorce se fend longitudinalement, peut se détacher en bloc.

Les marronniers stoppent leur croissance et leur feuillage ne verdit plus autant. Il se clairsème, année après année. En moins de cinq ans, les marronniers sont complètement morts.

La maladie est apparue sur les marronniers vers le début des années 2000, frappant des arbres en zone urbaine, à Bruxelles ou dans la métropole lilloise. Aujourd'hui sa propagation est massive, transnationale même, puisqu'on la recense depuis les Pays-Bas jusqu'à la Grande-Bretagne.

«On ne plante plus aucun marronnier depuis deux ans» explique Mickaël Grimaux, responsable du patrimoine végétal au service espaces verts de la métropole. Et pour cause: dans notre ville la maladie a déjà touché beaucoup d'arbres, en particulier les alignements du boulevard Alsace-Lorraine, de la place Parmentier ou du boulevard du Cange.

Pour Mickaël Grimaux, la plupart des alignements de marronniers sont condamnés

De tous côtés, la situation est la même: «presque tous les arbres sont infectés», estime Mickaël Grimaux. Ses services ont déjà abattus une petite dizaine de marronniers et l'hécatombe va se poursuivre.

Pour des raisons esthétiques, aussi bien que des mesures de précaution, tous les arbres morts seront vite évacués et brûlés par les services. Existe-t-il un problème de sécurité pour les riverains? A priori, non: «les arbres morts ne sont pas moins solides que les vivants: il sèchent sur pied. La plupart du temps, ils n'auront pas plus de risque de s'abattre brusquement qu'un marronnier en bonne santé», rassure le responsable des espaces verts.

On n'achève pas les malades

Néanmoins l'abattage systématique des arbres représenterait un budget important, totalement imprévu. Les services ignorent encore s'ils pourront gérer cette charge de travail en répartissant l'abattage sur plusieurs années ou s'ils devront faire appel à une entreprise spécialisée pour leur venir en aide.

Par ailleurs, l'abattage systématique n'est pas conseillé. À la Fredon, la Fédération régionale de défense contre les organismes nuisibles, on suit de près cette épidémie, depuis plusieurs années. Cette association spécialisée dans la surveillance sanitaire des végétaux étudie et collecte des travaux scientifiques qui concernent ce chancre bactérien, ou chancre suintant du marronnier.

Sophie Quennesson travaille à la Fredon Nord-pas-de-Calais. «On s'est aperçu que certains arbres présentent des symptômes mais peuvent vivre plusieurs années. On peut garder ces individus plus résistants sans risque pour les habitants.» explique-t-elle. Pas d'abattage systématique conseillé pour endiguer cette maladie, donc.

La bactérie tourne casaque

Mais justement, d'où vient cette maladie? «Pour ce qu'on en sait, c'est une bactérie qui est à l'origine de la maladie.» Pseudomonas syringae qui, pour la plupart de ses variants, vit pacifiquement avec les arbres, facilitant le cycle de certains nutriments.

Mais au début de notre siècle, le pathovar aesculi est devenu beaucoup plus agressif et s'attaque aux marronniers blancs et rouges, les deux espèces importées dans nos régions. Un rapport avec le climat océanique qui baigne nos pays? «Les recherches n'ont pas permis de le déterminer pour le moment

Protéger l'arbre des agressions

De la transmission d'un arbre à l'autre, on ne sait pas grand chose. À Amiens on s'est rendu compte que certains alignements d'arbres sont moins touchés, mais on n'en connaît pas la raison. Transmission dans l'air? Dans l'eau de ruissellement? Les jeunes arbres vendus par les pépinières portaient-ils la maladie ou une faiblesse génétique? Un point difficile à éclaircir, tant les filières des pépiniéristes sont complexes.

Le service des espaces verts d'Amiens l'a bien remarqué: chaque taille d'arbre semble être une porte d'entrée de la bactérie, puisque les coulures noires commencent effectivement aux blessures des arbres.

Sophie Quennesson, la scientifique de la Fredon, le confirme, et rappelle que la prophylaxie est très importante. «On suppose que la bactérie peut pénétrer par toutes les entrées naturelles: depuis les embranchement d'où se détachent les feuilles à l'automne, jusqu'aux diverses plaies et blessures». Qu'elles soient provoquées par la croissance de l'arbre ou par l'action de l'homme: un coup de pare-choc, un message gravé dans l'écorce ou, simplement, la taille des branches.

«Il faut être attentif aux outils de taille, si possible les désinfecter d'un arbre à l'autre.» Des mesures dignes d'un bloc opératoire.

Papy fait de la résistance

Bien que la plupart des jeunes arbres soient infectés, le tableau n'est pas complètement noir pour la ville d'Amiens. Les plus vieux spécimen semblent mieux résister à la maladie: comme ce centenaire du square Saint-Denis, place René Goblet.

Mickaël Grimaux touche du bois, l'arbre ne présente, pour le moment, aucune trace noirâtre et son écorce paraît saine. Il faut dire que ses conditions de vie sont bien différentes de celles que connaît le patrimoine arboré des avenues. Il est bien à l'aise au niveau de ses racines, et ses branches n'ont pas dû subir beaucoup de tailles. Contrairement à ses cousins malchanceux qui subissent, pour le confort des riverains ou de la circulation, une taille tous les deux à trois ans.

Place Goblet, le marronnier centenaire est encore vert

Par ailleurs, il est isolé des gaz d'échappement et d'autres types d'agression atmosphérique. Quant aux amoureux qui voudraient graver leur message dans son écorce écailleuse... ils risqueraient d'y laisser plus d'un canif.

Restera-t-il, pour autant, en bonne santé? Difficile à prédire, surtout que la maladie évolue moins vite chez les sujets âgés. Il est peut-être déjà infecté. Alors que faire?

En l'absence de traitements sûrs, il faudra se résoudre à planter d'autres essences. Si possible pas de Fresnes, eux aussi malades. «Tilleuls, érables, ginkgos, prunus, platanes, liquidambars, ceux-là se portent bien» estime le responsable des arbres de la ville.

Néanmoins, planter des arbres nécessite d'avoir une vision à très long terme sur les projets d'urbanisme de la ville. Or il se pourrait que dans la décennie qui vient, le boulevard Alsace-Lorraine, par exemple, subisse des changements importants d'aménagement. Mais comme le projet de transport en commun en site propre n'est pas encore arrêté, les services de Mickaël Grimaux sont bien en peine de prédire quels arbres remplaceront les marronniers mourants, et dans quel aménagement.

Dans l'œil du Télescope

Mickaël Grimaux, du service du patrimoine végétal d'Amiens métropole m'a emmené voir les marronniers malades du boulevard Alsace-Lorraine le lundi 12 novembre.

J'ai recueilli les propos de Sophie Quennesson jeudi 15 novembre, par téléphone. Mme Quennesson a travaillé à plusieurs reprises sur le chancre bactérien du marronnier. Elle a récemment compilé différents travaux scientifiques sur le sujet pour en éditer une synthèse pour la Fredon Nord-Pas-de-Calais.

23/11/2012 Mise à jour, suite aux commentaires de Mme Quennesson:
le pathovar aesculi existait déjà mais est devenu plus agressif au début des années 2000. Ce n'est pas, comme indiqué dans la première version, un variant d'apparition récente.