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L'art pictural de rue veut vivre à Amiens

Le 26 April 2013
Enquête commentaires
Par Claire Seznec

«Peindre sur des murs légaux, c'est un peu vendre son âme au diable, ça ne veut plus rien dire», ironise Sébastien, que nous rencontrons sous un pont amiénois  où il «graffe» depuis longtemps.

À la fin des années 90, ce jeune artiste a décidé de se faire arrêter volontairement par les forces de l’ordre afin d’entrer en contact avec la mairie De Robien et de tenter l'aventure du street art légal : peindre sur des murs en toute légalité. De là, est née, en 1999, l’association d'artistes graffeurs 7e Sens.

Sébastien, graffeur de l'association 7e Sens, "graffe" sous le pont de Beauvillé, au parc Saint-Pierre.

Mais au fait, qu'est-ce que le street art ? Pour Lucien Fontaine, adjoint au maire en charge de la jeunesse et de l’éducation populaire, le street art regroupe toutes les formes d’art pictural réalisées dans la rue, y compris la danse.

En revanche, les graffeurs que nous avons rencontrés différencient graffiti et street art, un art pictural arrivé pour eux, après le graff'.

«Ce n’est pas la même démarche, analyse Sébastien. Les graffeurs n’ont pas de concept ni forcément de message fort à faire passer. Ils utilisent des bombes de peintures pour s’exprimer. Alors que les artistes de street art créent avec de la mosaïque, des pochoirs, des stickers. Et bien souvent, c’est pour faire passer un message, c’est une réaction à quelque chose qui a marqué les street artistes».

 

 

Le nouveau graff de Sébastien orne désormais un pan de mur, sous le pont de Beauvillé.

En 1999, la création d'une association de graffeurs à Amiens a permis d'imaginer de nouvelles activités autour du graffiti. «Il s’agissait de pouvoir être réellement écouté, de faire des actions, des ateliers. On a enseigné l’art de peindre à la bombe à des jeunes.» Mais cela n'a pas résolu tous les problèmes. «On n'avait pas de murs à proposer aux jeunes. Sans murs légaux, les graffeurs seront toujours en faute, explique Sébastien. Il nous faut des lieux où nous exprimer!».

En réponse, dans les années 2000, la Mairie De Robien a légalisé la pratique , mais dans un cadre bien précis. Deux murs de la ville situés sous des ponts, notamment au parc Saint-Pierre sous le pont de Beauvillé, ainsi que sur les murs de La Briqueterie, rue Lescouvé, sont à la disposition des associations de graffeurs.


La Mairie soutient la pratique légale

L'actuelle Mairie affiche également son soutien à la pratique. «Le graff’ est un art connu et reconnu ; malheureusement, il n’est pas assez mis en valeur», affirme Lucien Fontaine. La Ville multiplie les initiatives pour rendre cet art plus accessible: deux nouveaux murs doivent être légalisés pour les graffeurs dans le secteur Nord, à l’automne 2013. En juin, une après-midi sera consacrée à une exposition de graff’ et de créations de street art réalisées par de jeunes amiénois.

Financièrement, la Ville met la main à la pâte, en subventionnant des projets d'associations de graffeurs. Depuis l'aventure 7e Sens, d’autres structures ont vu le jour dans la métropole amiénoise: le Sonograph et l’association Samurai.

Elles reçoivent des commandes de fresques (dessin ou peinture à la bombe) ou de décors pour diverses manifestations et événements. Des services sont également proposés aux particuliers pour de la décoration. C’est ainsi qu’au Zénith et à la Maison de la Culture, des graff’ ornent les murs.

Mais, pour les graffeurs, ce n'est pas suffisant. Par rapport à d'autres villes de la même taille, ils sont très peu à Amiens. Alors certains se demandent pourquoi la ville ne crée pas des graff park ou des murs dignes de ce nom pour leurs peintures. Le coût pourrait être modique. «On aimerait peindre tranquillement, sans avoir le soucis d’avoir une amende ou même d’aller en prison», explique un graffeur.


Un des murs de La Briqueterie, rue Lescouvé, recouvert de graffitis.

Mur légal, graff’ sans message ?

Paradoxe: les aides qu'ils demandent posent un problème d'éthique aux graffeurs. La légalisation du graff et du street art pourrait remettre en cause leur liberté de ton. «Parfois on nous dit de ne pas peindre telle ou telle chose sur un mur légal, mais nous sommes libres, assure Sébastien de l'asso 7e Sens. Si un jour je graffe quelque chose de politique sur le mur légal de l’association et que la Mairie n’est pas d’accord, je porterai plainte pour censure».

Certains s'en accommodent en alternant graff légal et illégal. Pour ses peintures légales, Sébastien ne sort plus la nuit avec ses bombes et ne craint pas de se faire arrêter par la police.

Mais la liberté des graffeurs reste d’utiliser la rue comme bon leur semble sans rien demander à personne. La plupart de ces artistes de la nuit continuent à peindre les murs dans l’illégalité.

La fin du Street art et du graff ?

Pour l'adjoint au maire, Lucien Fontaine, le street art porte de moins en moins de message: «Maintenant, le graffiti est un projet artistique.»

«Cela fait bien longtemps que cet acte de rébellion est devenu purement artistique. On passe à une autre évolution», assure Lucien Fontaine. Aujourd’hui, le nombre d’expositions de graffeurs explose à New York, Londres ou encore Paris. Ainsi que leur renommée.

Comme le hip hop, devenu musique populaire, ou le skateboard devenu sport de compétition, le graff’ et le street art deviennent des arts comme les autres. Beaucoup de graffeurs et artistes street art utilisent leur créativité pour vendre des vêtements ou des skates stylisés.

Le street art, surtout, se renouvelle. Les pochoirs, mozaïques et autres stickers sont aujourd'hui à la mode, comme le graffiti il y a quelques années. En témoigne le succès médiatique de l'exposition de l'artiste américain Keith Haring au musée d'art moderne de la Ville de Paris, visible jusqu'au 28 août prochain. Ils forment un mouvement pictural majeur de notre siècle.

L’artiste street art le plus connu du moment est Space Invader, «l’homme qui veut envahir l’espace par son art», comme l'appelle Sébastien. Ses petits Pac-Man en mosaïque décorent des centaines de lieux dans le monde. «Lui continue à faire passer son message. Comme Miss Tic, qui est sur le terrain depuis pas mal de temps déjà. Par contre, on peut croiser des étudiants sortant d’écoles d’art qui s’amusent à poser des stickers et pochoirs sur les murs. Ça fait vivre la ville, mais il n’y a plus de message», soupire le graffeur amiénois.

Et de conclure: «Le graffiti illégal était là avant et sera là après les murs légaux, même s’il n’est déjà plus à la mode».

Dans l'œil du Télescope

J'ai rencontré le graffeur Sébastien de l'association 7ème Sens vendredi soir. Il commençait un graffiti sous le pont de Beauvillé, au parc St Pierre. Pour réaliser son oeuvre, il est resté environ cinq heures devant le mur.