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La Somme fait son beurre avec du vent

Le 17 December 2013
Reportage commentaires
Par Mathieu Robert

La Somme est le département français le plus pourvu en éoliennes, devant son voisin le Pas-de-Calais. En ce moment même, au moins 303 turbines blanches volent en stationnaire au milieu des plaines samariennes. Et 82 seraient prêtes à sortir de terre dans les dix-huit prochains mois, si l'on en croit les chiffres de la Direction départementale des territoires et de la mer (DDTM).

Si tous les projets déposés avaient été acceptés par la préfecture, les éoliennes seraient même deux fois plus nombreuses. Ces dernières années, 323 éoliennes sont restées dans les cartons de leurs promoteurs faute d'autorisation préfectorale. 75 n'auront pas vu le jour, abandonnées avant même l'avis de l'administration.

Le projet de parc éolien d'Hangest-sur-Somme, une petite commune posée sur les rives de la Somme en aval d'Amiens, aurait pu être de ces projets abandonnés. Il aura fallu attendre huit années avant que le chantier ne soit symboliquement lancé, jeudi dernier, au beau milieu des champs qui dominent la commune et le fleuve.

Ce qui fera dire à un responsable local de Futures énergies, la filiale photovoltaïque et éolienne du géant de l'énergie GDF-Suez qui arrivait sur ce projet en 2008: «Pour construire des éoliennes, il faut du vent et des élus résistants».

Alors jeudi dernier, l'ambiance était à la fête. Élus municipaux et généraux et salariés de GDF-Suez ont coupé le ruban emprunts d'un même soulagement. Et pour cause. Les enjeux sont importants. Futures énergies va débourser 26 millions d'euros pour construire les dix turbines et leurs mâts, et dégager ensuite un chiffre d'affaires annuel qui devrait s'élever à un peu moins de 4 millions d'euros par an, pendant les dix premières années (48 000 000 kWh x 8,2 c€/kWh).

Une manne fiscale pour les collectivités

Pour les caisses de la commune, c'est tout bénef. Sans avoir déboursé un sous, la municipalité recevra un peu plus de 19 000 euros chaque année au titre de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFB).

Néanmoins le jour de l'inauguration, le maire, Gérard Bailleuil, était presque déçu. C'est moins que ce qu'il attendait lorsqu'il avait lancé le projet en 2006. De presque la moitié. Pourquoi ? «Réforme de la taxe professionnelle», répondent les cadres de Futures énergies, presque désolés.


Le maire au centre, et le conseiller général derrière lui

Et surtout c'est la Communauté de communes de l'Ouest amiénois, présidée par le maire d'Ailly-sur-Somme, qui rafle la plus grosse mise – 139 000 euros chaque année au titre de la CET (Contribution économique territoriale) et de l'IFER (Imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux) – alors que l'initiative venait de son seul conseil municipal. «La loi est mal faite», compatissent les cadres de GDF-Suez.

Plus tôt dans le défilé d'élus, le conseiller général Jean-Jacques Stoter pointait du doigt un parc d'éoliennes qui striaient l'horizon à quelques kilomètres plus au sud. «C'est mon canton». Son canton, celui de Molliens-Dreuil a joué à fond la carte de l'éolien. Six machines à Bougainville, seize à Quesnoy-sur-Airaines, cinq à Fresnoy-au-Val.

Et pour cause, les éoliennes rapportent aussi au département. Sur le seul parc d'Hangest-sur-Somme, le conseil général de la Somme devrait toucher 85 000 euros de taxes chaque année. La région quant à elle ne touchera que 11 000 euros.

Le client d'EDF paie la note

Financièrement, c'est le consommateur d'électricité qui est perdant. Notamment au travers la Contribution au service public de l'énergie (CSPE), un prélèvement fiscal qui apparaît sur ses factures d'EDF.

En effet, l'État français oblige EDF à acheter l'électricité issues des productions d'électricité dites renouvelables, et ce à un prix réglementé supérieur à la moyenne du marché (8,2 c€/kWh pendant les dix premières années pour l'éolien).

Cette cotisation qui pourrait augmenter en janvier prochain rétribue EDF en échange des services qu'elle rend: tarifs sociaux de l'énergie, unicité du tarif sur tout le territoire mais aussi, pour plus de 60% selon Le Monde, rachat de l'électricité issue de l'éolien et du photovoltaïque.

Or le parc éolien est en pleine explosion ces dernières années. Il pourrait atteindre une puissance de 16GW d'ici 2020, selon une étude du cabinet Xerfi, contre un peu moins de 7,7GW en mars dernier, selon les services de statistique du ministère du développement durable.

Producteurs d'énergie contre riverains

À Hangest-sur-Somme, devant une parterre des personnes, plutôt âgées, la filiale de GDF-Suez dévoilait la carte de son parc éolien en France. Beaucoup de points en Bretagne, beaucoup de points en Champagne-Ardennes. «Les grands groupes de l'énergie ont mis du temps à croire au développement de l'éolien. À l'inverse, des petites start-up ont été réactives et se sont développées rapidement sur tout le territoire, explique Laurent Bernard, responsable de l'antenne Paris-Normandie de GDF-Suez Futures énergies. Nous venons de racheter un opérateur basé en Bretagne et un autre en Champagne-Ardennes.»

Futures énergies possède déjà un parc d'une puissance de 453 MW, mais GDF-Suez au travers de toutes les filiales qu'elle possède – La Compagnie du vent, CN Air ou Maïa Eolis dans la Somme – représente déjà 1,2GW sur les 7,7GW installés en France. Une large partie du parc français.

Le seul obstacle à son développement, ce sont les riverains hostiles à l'implantation d'éoliennes à proximité de leurs habitations, comme ici dans le Pas-de-Calais, où la Compagnie du vent a été condamnée à démolir dix de ses éoliennes, suite à la plainte pour nuisances d'un couple de riverains.

À Moreuil, au sud-est d'Amiens, une association, Vent debout, s'est constituée pour lutter contre l'implantation de dix éoliennes sur sa commune. Ces riverains en colère s'attaquent notamment à l'étude d'impact commandée par le promoteur, Alstom, qu'elle juge insuffisante.

Vent Debout a perdu en première instance devant le tribunal administratif d'Amiens, en mai dernier, mais a fait appel devant la cour d'appel de Douai de la part de laquelle elle attend toujours une date d'audience. Elle présentera cette fois sa propre étude d'impact, et à travers elle une autre vision des coûts et bénéfices de l'éolien.