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La politique de la ville façonnée par 66 Amiénois

Le 19 December 2013
Reportage commentaires
Par Rémi Sanchez A lire aussi

Les volontaires ont dû s'exprimer sur la politique de la ville. (crédits: Amiens métropole).

Ils sont 66. Citoyens amiénois, français et ressortissants étrangers. Ils ont été tirés au sort, majoritairement, pour réfléchir ensemble, loin des avis autorisés, sur les questions qui se posent à Amiens métropole.

Toutes ces questions qui concernent la «politique de la ville». Plus concrètement, les 66 Amiénois ont planché sur les quartiers en difficulté, leur rénovation, leurs indicateurs de pauvreté, de  santé ou d'éducation. Mais aussi le chômage des jeunes, la délinquance, etc.

La politique de la ville vise à réduire les inégalités entre les quartiers. Au début du mois, les 66 Amiénois ont eu deux jours pour y réfléchir et rendre un avis citoyen.

Étienne Desjonquères, élu métropolitain délégué à la démocratie locale, et son service n'en sont pas à leur coup d'essai. Des groupes de volontaires ou des citoyens tirés au sort avaient déjà été réunis pour réfléchir à différents sujets: les déplacements dans l'agglomération, les caractéristiques de la quatrième piscine... Mais cette fois, la concertation organisée arrive dans un contexte particulier.

«Ça ne se fera plus sans nous»

Le contexte, c'est celui du rapport Bacqué-Mechmache, du nom de Marie-Hélène Bacqué et Mohamed Mechmache, rapporteurs pour le ministre de la Ville, François Lamy, sur la réforme de la politique de la ville. Le rapport qu'ils ont rendu, le 8 juillet 2013, sous-titré «ça ne se fera plus sans nous» exalte des solutions radicales pour amender en profondeur les logiques de financement des programmes d'aide aux quartiers «en difficulté».

L'idée forte, c'est l'importation dans les quartiers de l'empowerment, ou la possibilité pour les citoyens, habitants, acteurs associatifs d'avoir un vrai pouvoir de décision, d'interpellation des autorités et les moyens de financer des actions qui les concernent.

L'idée peut paraître novatrice. Pourtant, en 1983, le député PS Hubert Dubedout, dans son rapport «pour le développement social des quartiers», préconisait déjà l'intervention des citoyens dans ce champ.

Qu'en reste-t-il? Pas grand-chose. Francis Lec, vice-président métropolitain chargé de la politique de la ville, qui gère aussi ces questions dans son mandat de conseiller général, le reconnaît: «Tout le monde travaillait à la verticale, la concertation citoyenne c'est une révolution». L'élu indique également que la Métropole accentue le travail en commun avec ceux concernés par la politique de la ville. Comme les associations qui travaillent dans ces quartiers, par exemple, qui se réunissent dans une commission associée.

En novembre, les 3e assises de la politique de la ville organisées par la Métropole avaient justement réfléchi au renforcement de «la participation des habitants dans les actions menées sur les territoires». Alors que la Métropole doit élaborer son contrat de ville pour les six années à venir, le moment paraissait approprié pour concrétiser la concertation citoyenne.

Une chance au tirage

Concrètement, un tirage au sort d'habitants a été organisé grâce aux listes électorales des quartiers «politique de la ville» d'Amiens, ainsi que celles d'autres communes de la métropole, elles-mêmes tirées au sort. 700 habitants ont donc reçu une invitation, à laquelle 90 d'entre eux ont répondu. 55 ont été gardés, et onze personnes de plus ont été recrutées parmi les résidents étrangers volontaires.

Didier Blond habite Longueau. Il a reçu cette invitation pour la conférence citoyenne sur le futur contrat de ville. Politique de la ville, contrat de ville, qu'est-ce que c'est? «Pour être franc, tel que c'était présenté, ce n'était pas évident. On pouvait deviner que ça concernait les quartiers. Je me suis impliqué parce que je me sens concerné: je connais bien le quartier nord, mes enfants y sont allés à l'école.»

Ali Chekikene est Algérien. Mais il réside à Amiens depuis dix ans. Lui non plus n'a jamais vécu au quartier nord (il vit en centre-ville). Pourtant, tout comme Didier Blond, il s'est senti concerné par la question. C'est pour cela qu'il s'est porté volontaire. «Tout le monde a conscience que les étrangers sont concentrés dans des cités spécifiques. Il faut supprimer ces ghettos si on veut que les citoyens réussissent», déclare-t-il, avouant qu'il réfléchissait depuis longtemps à ces questions.

Le mandat d'Amiens métropole

Lors de la conférence, les 6 et 7 décembre, Didier, Ali et les autres Amiénois étaient quasiment seuls. Aucun élu pour interférer dans leurs discussions, seulement quelques techniciens de la Métropole et «animateurs» de débats. Néanmoins les élus d'Amiens métropole leurs avaient confié un mandat en quatre points: il s'agissait d'élaborer un diagnostic des décalages entre les quartiers, des moyens d'évaluation des politiques de la ville, d'évoquer toutes les pistes d'actions pour réduire les inégalités entre quartiers et, enfin, de réfléchir à la façon dont les citoyens devaient être associés au suivi et à la mise en œuvre du contrat de ville.

«Un échange correct et franc» selon Ali Chekikene.

«Chacun a pu apporter ses idées, c'était un échange correct et franc», affirme Ali Chekikene. Didier Blond est du même avis: «Les débats étaient complètement ouverts. Nous étions réunis en tables de 6 à 8 personnes, nous dressions des listes des idées puis nous votions. On a été guidés pour réfléchir plus spécifiquement aux quatre quartiers de politique de la ville et sur le déroulement de la conférence. Mais il n'y a pas eu de directions données: on disait tout ce que l'on voulait, et tout a été retenu.»

Le goût du travail

En une trentaine de pages de rapport, qui a été voté à l'unanimité des participants, beaucoup de sujets sont brassés. Les nuances de la richesse et de la pauvreté, l'éducation des jeunes et le rôle des parents, la sécurité dans les rues et les relations avec la police, la mixité dans les logements et la ghettoïsation, la santé, l'espoir, l'accès à l'emploi, le «goût du travail»...

Et des propositions concrètes sont formulées. Rétablir une police nationale de proximité, créer des médiateurs de rue, systématiser l'aide aux devoirs, sanctionner les parents dont les enfants sèchent les cours, organiser des forums des métiers, faire rénover les logements par les entreprises du quartier... «Il semble qu'il y a des choses qui existent déjà, explique Didier Blond, après la présentation du rapport. Au moment de la conférence on n'en avait pas connaissance. Cela révèle un manque, quelque part...»

S'engager et se faire entendre

Pascal Aubert, coordinateur du collectif Pouvoir d'agir, qui a émis le rapport Bacqué-Mechmache, assistait à la restitution du rapport, mardi dernier, devant les élus de la Métropole et la sous-préfète à la ville, Isabelle Dorliat-Pouzet. S'il a ses imperfections, le rapport reste, pour Pascal Aubert, prometteur. «C'est un début, un galop d'essai! Sur deux jours, avec des gens qui ne connaissent pas le sujet, sortir un rapport comme celui-là, c'est déjà bien. Il y a des sujets qui se dégagent, il faut maintenant le traduire en plan d'action et le croiser avec ce qui se fait déjà. Le rapport évoque aussi des choses nouvelles, à la marge, sur lesquelles il faut recaler les priorités.»

Au delà des points concrets soulevés par la conférence citoyenne, Pascal Aubert salue le processus même. «Ce qui m'a intéressé, c'est le sérieux et l'engagement des gens qui ont restitué le rapport. Bien entendu, des techniciens de la politique de la ville auraient pu produire la même chose. Mais monter et soutenir une conférence citoyenne, cela développe la capacité à s'engager et à se faire entendre. L'enjeu n'est pas négligeable dans une société qui se balkanise».

Les 66 semblent conquis. Leur groupe a réfléchi à pérenniser la conférence citoyenne pour suivre et évaluer la politique de la ville. La question qui reste en suspens, c'est la façon dont leurs idées amenderont les réflexions des élus, des services de l'État, des associations... «L'avis citoyen sera annexé au contrat de ville, promet Étienne Desjonquères. Je me battrai pour qu'on prenne en compte l'avis citoyen». Les 66 espèrent bien que, désormais, «cela ne se fera pas sans eux».

Dans l'œil du Télescope

La conférence citoyenne s'est tenue à huis clos. Les photos de la concertation sont donc à créditer à Amiens métropole. Les propos ont été recueillis mardi 17 décembre, lors de la restitution de l'avis citoyen, sauf les propos des élus, recueillis le 5 décembre, en conférence de presse.