Archives du journal 2012-2014

La photographie aussi est en crise

Le 07 June 2013
Enquête commentaires
Par Claire Seznec

En France, le chiffre d’affaires des activités photographiques a décliné ces dix dernières années. Sur une base 100 pour l'année 2005, il était de 126.3 en décembre 2000 et n’est plus que de 101.2 en décembre 2012. La photo est en crise.

Cela se ressent sur le marché du travail. Le nombre de photographes professionnels diminue. En 2010 ils étaient 15 000 en France, selon l’UPC (Union des photographes créateurs), aujourd'hui UPP, Union des photographes professionnels. «Il y a 20 ans, il existait à Amiens environ 25 professionnels de la photo. Aujourd’hui, nous ne sommes que cinq…», déplore Guylain Devisse, photographe professionnel amiénois, installé rue Jules Barni.

Pour cet amiénois, le déclin aurait commencé, il y a plusieurs années. «Auparavant, il y avait un centre de formation à la photographie à Amiens, nous étions une bonne dizaine par promotions. Maintenant, il existe une école, à Tourcoing, avec des élèves venus de partout: Nord Pas de Calais, Picardie, Ardennes et même Paris ! Et ils ne sont que dix par promos…». Aujourd’hui, l’Ecole supérieure d’art et de design (Esad) et l’UFR des arts d’Amiens donnent encore quelques cours de photographie au sein de leur enseignement.


Y a-t-il encore du travail dans la photo ?

François Cailleret, amiénois, fait de la photographie depuis trois ans, sur numérique. Ce n’est pas son métier premier. Il travaille chez Martelle, place Gambetta. Son souhait? Vivre un jour, de la photographie. «Cependant, je fais surtout du paysage naturel et urbain, en vivre n’est vraiment pas facile!», déclare François Cailleret.

Le photographe travaille avec l’éditeur Martelle, qui commercialise des cartes postales et marque-pages à partir de ses clichés. «Ce n’est pas énorme, mais à côté, j’ai réussi à vendre les droits de plusieurs photos. Ça m’a permis d’acheter du matériel plus performant».

«Le plus compliqué est de choisir son statut en tant que photographe. J’ai choisi auteur-photographe, c’est-à-dire que je peux bénéficier de droits sur mes images et vendre quelques tirages». Contrairement à d'autres statuts, il n’a pas de prestations à fournir, ni de commandes précises. En effet, la plupart des photographes professionnels répondent aux exigences d’entreprises, de maisons d’édition et aux institutionnels, comme la mairie ou le Conseil régional.

Mathieu Farcy, lui, termine son année de formation à Paris, de photo reportage. Auparavant, il faisait de la photographie amateur, notamment des portraits. «Et puis, j’ai voulu en faire mon métier, raconte l’amiénois. Je m’oriente vers du photo documentaire. Y aura-t-il du travail dans cette branche? Bonne question! Mais je reste motivé. Les piges et les contacts sont essentiels pour percer dans le milieu de la photographie».

Le numérique, merveille de la technologie ?

Depuis quelques années, la photographie numérique a explosé avec son lot de nouveautés, comme la retouche numérique.

Même les photographes professionnels l’utilisent, à l’instar de Guylain Devisse. «C'est pratique. Assombrir, illuminer, contraster les couleurs, les changer permet de rendre le cliché beaucoup plus beau, affirme celui-ci. Bien souvent, nous enlevons les imperfections de la peau. Par exemple si sur une photo d’identité, la personne a un bouton ou un pansement sur l’œil, comme ce fut le cas pour un élève lors d’une séance scolaire, nous retouchons ».


Guylain Devisse, photographe depuis plus de 30 ans, admet que la retouche photo est pratique.


«Le revers de la médaille, c'est que les technologies de la photographie se sont démocratisées. Cherchez des photographes sur le site Le Bon Coin, explique Guylain Devisse, vous tomberez sur des centaines d’annonces «Souvent pour des mariages. Les amateurs prennent à très bas prix. C’est du travail au noir. Et finalement, les professionnels ne sont plus sollicités et l’édifice de la photographie s’effondre».

Autre soucis du numérique: les droits des photographies. «De plus en plus, les photographes mettent leurs images en ligne, sur des sites de partage, sur des blogs ou sur des réseaux sociaux comme Facebook. Sur internet, le risque de vol des droits d’images est important. Un simple copier/coller et le mal est fait», affirme le photographe François Cailleret.



L'argentique et la diapositive ne connaissent plus d'engouement.


Pour autant, est-ce la fin des pellicules argentiques et diapo ? « Il est encore possible d’acheter ses (...) pellicules photos, mais pour la pellicule diapo, on ne peut plus les développer», répond le Guylain Devisse. À Amiens, il n’existe aucun laboratoire photographique ni photographe qui utilise les diapositives. «L’oxydation des bassins servant à tirer les diapos est bien trop rapide», et donc couteuse.

Les différentes facettes du photographe

L’Insee définit le photographe professionnel comme celui qui a une activité consistant à prendre des clichés, et éventuellement les développer, les tirer et les retoucher, sans que cette activité ait un but purement artistique. Il existe des photographes de mode, de presse, industriels, publicitaires ou encore illustrateurs.

Mathieu Farcy, arrivant sur le marché du travail, aimerait conserver «plusieurs cordes photographiques à son arc»: «Il n’y a pas seulement la photographie de presse qui m’intéresse, mais également les portraits et l’éditorial, c’est-à-dire l’illustration pour du contenu». Il explique que dans le milieu de le presse, les photographes touchent à d’autres branches. «Beaucoup font du corporate. Il s’agit de la photographie de communication interne des entreprises».



Guylain Devisse, lui, fait plusieurs métiers dans un seul. «Il m’arrive de changer trois fois de vêtements par jour pour le travail!». Il couvre des mariages, des inaugurations et des événements institutionnels, mais son activité principale, c'est le scolaire. 80% du chiffre d’affaire du studio Devisse se fait en dehors du magasin. «En plus de tout ça, nous avons un magasin de photo pour les photos d’identité et portraits. Nous proposons également des assemblages photographiques, des impressions de livre-photo sur papier glacé et des grandes impressions, pouvant aller jusqu’à 10mètres de longueur ! ».

Aujourd’hui, les photographes ne se limitent donc pas à la prise de vue, ils se diversifient. Vente de matériel, tirage de photographies pour amateurs et professionnels ou encore sous-traitance d’autres photographes sont des activités typiques du photographe professionnel.

Au début de la carrière de Guylain Devisse, certaines entreprises commandaient des clichés. «C’était un autre métier, une sorte de photographie publicitaire. On tirait sur papier glacé ou photo les clichés demandés, comme des photographies de groupe, des photographies de l’entreprise, raconte l’amiénois. Aujourd’hui, les entreprises utilisent le numérique et l’impression. Ils font eux-mêmes leurs photo. Peu importe si les images et slogans s’effacent au bout de quelques mois».

La prise de vue n’aurait plus besoin de support papier ?

Depuis un an, Guylain Devisse constate cependant un retour régulier pour le tirage des photographies. «Bien souvent, l’ordinateur conservant les photos tombe en panne et perd tous ses fichiers, ou alors la clef USB se perd, alors pour éviter cette perte de clichés, certains amènent sur CD ou clef des centaines voire des milliers de photos à tirer!». C’est bien le problème du numérique. Les technologies évoluant, la perte des fichiers, et donc de photographies, devient récurent.

La «vraie photo» comme l’aime à l’appeler Guylain Devisse consiste à tirer les clichés sur du papier photo. «Il faut différencier l’impression du tirage. Avec le numérique, on peut imprimer les photographies sur du papier classique avec une imprimante classique. Les tirer consiste à les faire passer dans des bassins de différents liquide permettant l’apparition finale sur le papier photo ».


Maintenant, les bassins de virage pour tirer les clichés se trouvent dans des machines.


Que ce soit une pellicule venant d’un appareil photo argentique ou des photographies numériques venant d’une clef USB, les clichés peuvent désormais être tirés de la même façon. «La qualité et la conservation de la photographie sont nettement supérieures au papier classique!, assure Guylain Devisse. Cette qualité devient un grand souci photographique à l’heure actuelle. Trop de clichés sont imprimés et s’effacent avec le temps ».

Dans l'œil du Télescope

J'ai rencontré Guylain Devisse et François Cailleret séparément et ai contacté Mathieu Farcy par téléphone. Guylain Devisse m'a dévoilé les secrets des bains de virage, afin de tirer les photographies. Une rencontre enrichissante.