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La Halle veut garder fraîcheur et monopole

Le 28 March 2013
Reportage commentaires
Par Fabien Dorémus

Les travaux commenceront dans une quinzaine de jours. Le 16 avril exactement. La Halle au frais d’Amiens va bénéficier d'une sacrée cure de jouvence. «Le bâtiment a dix-huit ans et il a mal vieilli, explique Éric Méhimmedetsi, adjoint au maire d’Amiens en charge du commerce de proximité. Il n'est plus très bien adapté à l'activité commerciale.»

La liste des travaux, qui s'achèveront à la mi novembre, est très longue: réfection des distributions électriques, remplacement des réseaux d’eaux usées, création d'un faux plafond acoustique, mise au norme des installations électriques, du local à poubelles et du système de sécurité incendie, remplacement du groupe froid, réfection des sols et du système de ventilation, nettoyage de la façade, mise en place d’un système anti-pigeon sur les extérieurs, etc.



La Halle au frais, à côté du beffroi.

Coût total de l'opération: 2,4 millions d'euros HT, à la charge de la Ville. Cette dernière va essayer d'obtenir deux subventions afin d'alléger un peu sa facture. L'une, de 538 000 euros HT, va être demandée au conseil régional de Picardie, l'autre, d'un montant de 500 000 euros HT, va être demandée à la Direccte (Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi).

La Ville est propriétaire des lieux. Elle loue des loges aux commerçants de la Halle au frais pour un loyer attractif: entre 500 et 700 euros par mois pour 15 à 20 m², selon les chiffres fournis par l'adjoint au commerce de proximité. «Les commerçants sont des occupants à titre précaire et révocable du domaine public», précise-t-il.


Pourquoi mettre autant d'argent dans la Halle au frais? «Nous voulons encourager le professionnalisme de gens qui savent faire la différence entre une viande de bœuf et une viande de cheval», s'amuse Éric Méhimmedetsi. Plus sérieusement, l'adjoint indique vouloir préserver l'outil de travail des commerçants afin de renforcer «un pôle alimentaire fort en centre-ville, associé à Carrefour et aux Halles juste à côté».

Pas de fermeture totale pendant les travaux

L'investissement serait aussi une manière de conserver en centre-ville des métiers de bouche qui attirent de moins en moins. «Il y a peu de jeunes dans ces formations, c'est structurel. Mais on a aussi, en centre-ville, un problème de cherté des loyers, ce qui n'incite pas à l'installation, avance l'adjoint au maire. Sans compter la concurrence des grandes surfaces et le changement des comportements alimentaires.»

La Ville assure également travailler à «une redynamisation de toute la place, afin de consolider le centre-ville». Un cœur de ville qui a la particularité à Amiens de concentrer 25% des échanges commerciaux de la métropole. «À titre de comparaison, à Dunkerque, ce n'est que 12%», précise Éric Méhimmedetsi, avant d'ajouter que d'après la Chambre de commerce, les 750 commerces de l'hyper-centre résistent plutôt bien à la crise.

Les travaux n'empêcheront pas la Halle au frais de fonctionner. Ils ont été programmés en quatre phases afin de rénover le bâtiment morceau par morceau, et d'éviter la fermeture totale.



Des travaux en quatre temps (crédits: Amiens métropole).

Il n'y aura donc pas de fermeture totale pendant les six mois de travaux. La Ville va mettre en place quatre camions, disposés place au Fil, qui accueilleront alternativement les commerces touchés par les travaux. En tout et pour tout, chaque commerce devra quand même être mis à l'arrêt pendant une durée de cinq à six semaines. Un moindre mal.

«Mais les gens s'inquiètent, témoigne Thierry Perraguin, fromager dans la Halle au frais. Ils nous posent beaucoup de questions, demandent si on va partir, comment ça va se passer.» Il fait partie de ceux qui ont réservé un camion sur la place, tout comme sa voisine de la loge d'en face, Estelle Quillet, primeur. Tous deux estiment qu'il était temps que des travaux soient effectués, et signalent notamment un bâtiment bruyant et un système de ventilation vétuste.



Les commerçants Estelle Quillet, Thierry Perraguin, et l'adjoint au maire Éric Méhimmedetsi.

Un bilan globalement positif

Le président de l'association des commerçants de la Halle, Julien Planchon, assure également être «très content que ça se fasse». Pour ce fromager, la Halle au frais n'aura plus à envier ses voisines, les Halles commerciales, refaites il y a plusieurs années et dont la clarté jure avec le bâtiment bientôt rénové.

Mais le commerçant garde quelques regrets. Il aurait notamment souhaité que le réaménagement de la place qui jouxte la Halle soit programmé en même temps que les travaux du bâtiment. Pour lui, la municipalité aurait pu faire davantage: «Quand on voit que pour le tramway, la citadelle ou la rénovation des quartiers, c'est 200 millions d'euros de déboursés à chaque fois, on se dit que deux millions pour ici, ce n'est pas grand chose.»



Julien Planchon (à gauche) et Ludovic Le-Cointe, autre commerçant de la Halle.

Autre petit grief: l'organisation des travaux. Selon Julien Planchon, les commerçants n'auraient pas encore le plan exact d'exécution des travaux. «On doit faire appel à des artisans pour déplacer et modifier les loges, il faut qu'ils soient disponibles au moment où l'on a besoin d'eux, donc les prévenir à l'avance.»

Certaines autres demandes des commerçants n'ont pas pu être satisfaites par la Ville. Par exemple, un sas à l'entrée située du côté du beffroi n'aurait pas fait de mal à Martine, employée de la loge fromagère juste en face. «Il fait froid l'hiver», se plaint-elle. «L'entrée est protégée par les Bâtiments de France car elle est dans la zone toute proche du beffroi, se justifie Éric Mehimmedetsi. Mais on pourra peut-être faire quelque chose lors de la phase 4.»



Le coin des poissonniers sera rénové en phase 4.

Car la dernière phase des travaux, qui prévoit entre autres la rénovation des loges des poissonniers, n'est pas encore totalement définie. C'est ce que l'adjoint au maire appelle pudiquement «les 10% restants qui ont encore besoin d'ajustements techniques».

L'ancien Match, future Halle au frais bis?

Mais la plus grand inquiétude des commerçants de la Halle au frais se situe à une petite centaine de mètres de là, de l'autre côté de la rue du Général-Leclerc. Le supermarché Match est fermé depuis la fin de l'année dernière. Son propriétaire cherche à retrouver une fonctionnalité (et des locataires) à son bâtiment de «4400 m², plus des réserves en sous-sol et un parking».

Celui qui donne ces précisions, c'est Jacques Kesilber. Gérant, entre autres, de l'agence immobilière Exclusive Ltd. Il a été mandaté par le propriétaire pour commercialiser la surface de l'ancien Match. Si rien n'est arrêté quant au devenir du lieu, l'idée d'y installer une halle au frais fait son chemin. «Le frais peut être une locomotive, indique Jacques Kesilber. Je suis en train de contacter des producteurs locaux pour faire de la vente directe.» Des producteurs locaux qui pourraient s'installer à côté d'une «enseigne nationale de restauration».



L'ancien supermarché, rue du Général-Leclerc.

Encore une fois rien n'est fait et, même s'il trouverait souhaitable de «compenser la suprématie de la grande distribution», Jacques Kesilber explique qu'il ne fera pas d'état d'âme si une enseigne «de type market» se positionne sur l'emplacement.

Pour Julien Planchon, le président de l'association des commerçants de la Halle au frais, si le projet de création d'une halle concurrente devait voir le jour, ce serait «très gênant». La concurrence n'est pas vue d'un très bon œil par les commerçants. C'est d'ailleurs ce que dénonce Jacques Kesilber. Pour lui, c'est un mauvais calcul : «Les commerçants ont toujours peur de la concurrence mais c'est une mauvaise approche du marché. La concurrence fait toujours avancer les choses. Il y a des rues à Paris où il n'y a que des marchands de chaussures, et tout le monde s'y rend!»

En attendant, il a proposé aux commerçants de la Halle au frais de venir s'installer dans l'ancien Match pendant la durée des travaux. Aucun n'a, pour le moment, répondu favorablement.

Dans l'œil du Télescope

J'ai vu une première fois Éric Méhimmedetsi le 18 mars, en marge du point presse que donnait le maire Gilles Demailly sur la question des rythmes scolaires. Trois jours après, j'ai pu effectuer un reportage à la Halle au frais en sa compagnie et rencontrer des commerçants, avec ou sans l'adjoint au maire. Cette même semaine, j'ai pu m'entretenir par téléphone avec Jacques Kesilber. J'ai aussi tenté de joindre le président de l'association des commerçants du centre-ville, sans succès. Cet article devait être publié un peu plus tôt mais les récents événements au conseil général de la Somme (voir nos articles de la semaine) ont repoussé sa rédaction.