Il y a une semaine, la Commission européenne annonçait l’interdiction à compter du 1er décembre 2013, d'utiliser trois pesticides néonicotinoïdes à certaines périodes de l'année. Cette interdiction se limite aux deux prochaines années, comme ce fut le cas en France pour le pesticide Gaucho de l'industriel allemand Bayer en 2004, avant qu'il ne soit définitivement interdit en 2006.
Une décision fait suite à un rapport de l’autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) rendu en janvier de cette année, qui faisait état de risques élevés pour les abeilles, lorsque ces néonicotinoïdes étaient utilisés comme traitement des semences ou granulés.
En France, Stéphane Le Foll avait décidé, dès le mois de juin dernier, de retirer du marché le Cruiser OSR, un néonicotinoïde utilisé sur les semences de colza, commercialisé par l'industriel suisse Syngenta. Mais d'autres néonicotinoïdes étaient toujours sur le marché.
À Amiens, René Malivoir, apiculteur amateur depuis 1970, regrette de devoir «subir le traitement encore toute une année», mais il se réjouit de voir disparaître ces produits de l'environnement de ses ruches. Ce passionné des abeilles, membre de l'Union syndicale des apiculteurs picards, n'a pas une très bonne opinion des pesticides agricoles.
Inscrit dans sa mémoire, un court-métrage exposant la réaction de l’insecte posée sur un tournesol traité par le pesticide Gaucho, également utilisé pour les traitements de semences. «Lorsque la butineuse reste posée sur la fleur, elle se trouve prise de tremblements et tombe, morte. Si elle s’envole rapidement, elle devient désorientée et ne retrouve plus le chemin de sa ruche».
Ou le souvenir d'une récolte désastreuse. «En 1980, mes ruches étaient à côté d’un champ de colza. Un jour, j’ai ramassé un saladier d’abeilles mortes par ruche!»
L'apiculteur, aussi, utilise des pesticides
Et quand bien même les pesticides agricoles disparaîtraient, les maladies des abeilles, elles, restent. Il en existe principalement deux, dont la principale est la varroase.
Le varroa est un acarien vivant dans la ruche, qui peut parasiter l'abeille adulte et ses couvains, les larves. Il se nourrit de leur hémolymphe, le sang des insectes. «Certains apiculteurs ne pensent pas à ce risque. Ils se limitent aux dégâts liés aux pesticides. C’est une erreur», explique René Malivoir. «C’est un fléau que l’on ne peut pas éradiquer, mais sa réduction est possible avec un traitement annuel», un acaricide. Autrement dit, un pesticide.
Une autre maladie, bactérienne, est très répandue, il s’agit de la loque américaine. «Certains apiculteurs ont perdu toutes leurs ruches à cause d’elle», affirme l’amiénois. Ce sont en fait des bactéries, dont les spores détruisent le couvain pendant des années. Selon l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation , la bactérie peut produire plusieurs milliards de spores par larve d’abeille infectée. La seule façon de s’en débarrasser? «Brûler la ruche. Et les autres ruches si jamais elles sont infestées». Pour prévenir ce dommage, pas d'antibiotique efficace connu, mais de la prévention par des contrôles vétérinaires.
René Malivoir et sa femme sont apiculteurs amateurs à Amiens depuis 1970.
Des catastrophes naturelles désastreuses
«Lors d'une sévère tempête, j’ai perdu dix ruches, soit la moitié de ce que je possède», témoigne René Malivoir. C’était en 2001. La Somme et tous les points d’eau étaient en crue. Certains apiculteurs ont vu leurs ruches partir au gré des flots du fleuve, avant de s’y noyer. Ceux-ci ont tout perdu.
Dans le cas de notre apiculteur amiénois, dont le rucher se trouve dans un marais, l’eau est montée jusqu’au plateau de décollage et atterrissage des abeilles. «Il faisait bon à cette époque et les butineuses sortaient. Le plateau se reflétait dans l’eau… Lorsque les abeilles revenaient, elles se posaient juste dans le reflet de la ruche et se noyaient», lance madame Malivoir.
D’autres événements naturels détruisent des ruchers entiers. Dans les forêts, lors de tempêtes ou d’orages, des arbres peuvent tomber sur les ruches. «C’est arrivé à un collègue apiculteur, commente René Malivoir. Les bûcherons ne pouvaient pas s’approcher pour couper et dégager les arbres car il y avait beaucoup d’abeilles. Elles sont restées ensevelies sous les branches».
Moins de fleurs mais une bonne récolte
Pour cet apiculteur, les citadins lambdas sont aussi à l'origine du déclin des abeilles de sa ruche. « Maintenant, pour les gens, il faut tout débroussailler, tout couper : arbres, fleurs, herbes», se désole la femme de René Malivoir, également apicultrice. «Les épineux, comme les aubépines, et certaines fleurs sont considérées comme de mauvaises plantes. On manque aussi de luzerne, de trèfles anglais, de trèfles blancs, de reines des prés, etc».
Les abeilles de René Malivoir ne produiraient même plus assez de miel pour vivre seules. « Nous les nourrissons à partir d’une certaine période, vers fin août, sinon elles meurent dès l’arrivée du froid», explique le couple d’apiculteurs.
Pour ces apiculteurs, il est plus difficile d’exercer ce métier qu’avant. «Le point positif, c’est qu’on commence à parler des abeilles et à se poser des questions sur leur soudain nombre décroissant». En 1976, René Malivoir a collecté une tonne de miel en une seule récolte de 20 ruches ! Aujourd’hui, il ne fait que deux récoltes de « miel de printemps » avec le colza, le tilleul et les arbres fruitiers. Il ne récolte que 700kg par an de la douceur sucrée, « une bonne récolte tout de même » pour l’apiculteur.
C'est près de deux ruches de leur jardin que j'ai rencontré René Malivoir et sa femme, le couple d'apiculteurs, lundi après-midi.