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La dette d'Amiens profite de la faiblesse des salaires

Le 03 January 2013
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Par Fabien Dorémus A lire aussi

La ville d'Amiens doit 101,3 millions d'euros. Il s'agit d'une dette contractée au fil des ans qui sert à investir. Et uniquement à investir. Car les collectivités locales n'ont pas le droit de faire recouvrir leurs dépenses de fonctionnement par de l'emprunt.

Au cours de l'année 2012, le ville d'Amiens a contracté trois nouveaux emprunts pour un total de 15,6 millions d'euros. Cet argent servira essentiellement au renouvellement urbain et à la réhabilitation thermique de l'école Michel-Ange et du groupe scolaire Voltaire (voir le détail dans le Rapport sur l'état et l'évolution de la dette d'Amiens). «C'est de la bonne dette», sourit Jacques Lessard, adjoint au maire en charge des finances.

Au 1er janvier 2013, l'encours (l'ensemble des engagements) de la dette amiénoise est estimé à 101,3 millions d'euros. Cela représente environ 740 euros par habitant. Comment évolue la dette amiénoise ? Lorsque l'on regarde les chiffres donnés pas le ministère des finances, on se rend compte que la ville était beaucoup moins endettée en 2006 (54,4 millions d'euros). En revanche, elle l'était beaucoup plus en 2001 (111,3 millions d'euros). Les niveaux d'endettement correspondent à des cycles d'investissement.



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Pour Roland Salguero, directeur financier d'Amiens Métropole depuis 2004, « ce n'est pas le volume total de la dette qui importe mais la capacité à rembourser. Tant à la Ville qu'à la Métropole, on met 4 ou 5 ans à rembourser en moyenne. On est bien.» Lors du dernier conseil municipal Jacques Lessard a expliqué que «l'objectif était de ne pas emprunter plus que l'on rembourse chaque année.»

Les banques privées proposent aux collectivités un certain nombre de produits financiers. Certains plus risqués que d'autres. À Amiens, pas de souci, les contrats d'emprunts sont tous classés sans risque, selon la nomenclature en vigueur depuis 2010. Pas d'emprunt toxique à Amiens.

Les taux variables privilégiés

Mais au fait, c'est quoi un emprunt toxique ? Dans le jargon on parle d'emprunt «structuré». «Ça se passe en deux phases, explique Roland Salguero. Dans un premier temps la banque vous vend un taux très bas, très intéressant. Ce taux reste le même tant qu'une condition contractuelle particulière n'est pas remplie. Cette condition peut, par exemple, être que le rapport entre le franc suisse et le dollar reste le même. Dans tous les cas, la banque va vous dire que vous ne risquez rien car la condition en question ne sera pas remplie. Mais là où il y a eu de gros problèmes, c'est avec la crise.» Avec la dégradation économique, un certain nombre de conditions contractuelles se sont remplies. De nombreuses collectivités sont alors passées dans la deuxième phase, celle qui voit les taux d'intérêt exploser.

Selon Roland Salguero, la ville d'Amiens a déjà par le passé contracté des emprunts structurés, c'est-à-dire soumis à cette fameuse condition proposée par la banque. «Mais la condition était sans risque. C'est l'intérêt d'avoir un service financier costaud, qui ne se laisse pas avoir», se félicite le directeur des finances.

La ville d'Amiens n'emprunte pas aux banques à des taux fixes. 97,4% de l'encours de la dette (soit 98,6 millions d'euros) est basé sur des emprunts à taux flottants. Ce n'est pas nouveau, sous la précédente majorité municipale, la stratégie d'emprunt était la même : privilégier les taux flottants.

«Les taux fixes que proposent les banques sont d'environ 4% ou 4,5%. Ils représentent une apparente sécurité mais en réalité on paye plus cher qu'avec les taux variables», explique Roland Salguero.



Roland Salguero (à gauche) et Jacques Lessard.

Pourquoi les taux flottants sont-ils plus intéressants pour Amiens ? C'est en partie grâce à la crise. Et ça demande quelques explications.

La Ville emprunte à des banques privées. Ces banques privées n'inventent pas l'argent, elles l'empruntent à la Banque centrale européenne (BCE) qui fixe son taux directeur, c'est-à-dire le niveau d'intérêts qui devra être payé par les banques privées à la BCE pour emprunter. Plus le taux directeur de la BCE est bas, plus les banques privées empruntent facilement.

Les collectivités empruntent ensuite à un taux qui dépend de la marge financière (le bénéfice) de la banque et de différents index monétaires dont le niveau dépend du taux directeur donné par la BCE. Ces index monétaires possèdent des noms barbares comme Eonia, Euribor, TAM, TAG ou T4M. «Quand on va voir une banque, on lui demande : “Vous nous faites Eonia plus combien?”», indique le directeur des finances.

Pour résumer, lorsque le taux directeur de la BCE baisse ou reste bas, les index monétaires suivent la même pente et donc les emprunts coûtent moins chers à la collectivité.

Même taux pendant encore un ou deux ans

Le taux directeur de la BCE est actuellement de 0,75%. En 2008, ce même taux était de 4% (voir l'évolution depuis 2000). Il n'a cessé d'être abaissé pour – en principe – favoriser le crédit et la reprise économique.

Comme Amiens emprunte à des taux flottants, une renégociation des taux est possible régulièrement. Cette renégociation permet de payer moins cher l'emprunt à chaque fois que la BCE baisse son taux d'intérêt. «Ce taux est actuellement bas et devrait le rester encore au moins un ou deux ans», assure le directeur des finances. La stratégie menée par la Ville en matière d'emprunt restera donc payante encore un moment.



Siège de la Banque centrale européenne à Francfort en Allemagne. (d.r.)

La BCE a tendance à baisser son taux directeur lorsque la tendance inflationniste est faible. Et qu'est-ce qui pourrait engendrer de l'inflation et donc une remontée du taux directeur ? «La spéculation sur les matières premières et l'augmentation des salaires», répond Roland Salguero. Concernant la spéculation sur les matières premières (le pétrole, par exemple), le directeur des finances estime que «cela s'est stabilisé» même s'il on n'est «jamais à l'abri d'un groupe qui aurait envie de s'attaquer à tel ou tel prix.»

Quant à la question des salaires en Europe, ils «sont maintenus, remarque Roland Salguero. Si une hausse généralisée des salaires avait lieu, le coût de confection des produits augmenterait, ce qui provoquerait de l'inflation.»

On en est loin, et paradoxalement, cela préserve le niveau d'endettement de la municipalité. 

Dans l'œil du Télescope

Après avoir consulté le rapport sur l'état et l'évolution de la dette de la ville d'Amiens, j'ai rencontré Jacques Lessard et Roland Salguero en mairie fin décembre. J'ai rappelé plusieurs fois ce dernier pour obtenir des précisions.