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Jeunesse, papier, numérique... les choix de l'édition locale

Le 31 May 2013
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Par Claire Seznec

La Picardie est une région fortement touchée par l’illettrisme. Selon le bulletin de novembre 2012 de l’Observatoire social de Picardie, 10 à 20% de la population adulte serait concernée, soit 180 000 Picards.

«C’est en partie pour cela que les éditions La Gouttière restent à Amiens! Il faut se battre contre cet illettrisme»
, estime Flavie Souzy, assistante d’édition et de fabrication chez La Gouttière.

Pour sensibiliser les jeunes aux lettres, des lycées picards font travailler leurs élèves sur l’analyse de bandes dessinées, avec à la clef, la remise d’un prix du meilleur premier album. Cette année, c’est l’album Nankin, de Zong Kai, qui recevra le prix.




Nankin, bande dessinée de Zong Hai sur un scénario de Nicolas Meylaender, recevra le prix du Meilleur premier album des lycéens picards.


Ce weekend, les Rendez-vous de la bande dessinée accueilleront un salon de lecture où se trouveront les derniers albums des auteurs invités. Une autre partie de ce salon est consacrée aux enfants. L’association «Lire et faites lire» fera la lecture de bandes dessinées.

La Gouttière et la jeunesse

«Lorsque l’on parle de BD pour la jeunesse, on pense directement à Titeuf et Astérix, les bandes dessinées pour adolescents, qui sont assez mal connotées. Mais il n’y a pas vraiment de maisons d’éditions qui produisent de la bande dessinée pour les très jeunes, et c’est dommage. Alors nous nous avons plongé dans cette brèche ouverte et déserte», explique Flavie Souzy qui nous accueille dans les locaux de la maison d’éditions, rue Dejean à Amiens.

Sur les murs, des affiches du festival de BD, des planches de BD et des dessins de tous genres. « C’est un peu le capharnaüm, avec la mise en place du festival!», sourit-elle. Le festival annuel de la BD d'Amiens aura lieu ce week-end au Pôle universitaire cathédrale, en centre-ville.

Les éditions la Gouttière sont le pôle éditorial de l’association On a marché sur la bulle, qui a créé les Rendez-vous de la bande dessinée. L’ambiance, en ce moment, est donc effervescente.

Cette maison d'éditions, créée en 2008, a la particularité de ne s’adresser qu’au créneau de la petite enfance - entre 4 et 10 ans -, et qui plus est, de s’ancrer dans le muet.


Le troisième tome d'Anuki sort en avant-première ce week-end.


Leur dernière parution, Anuki, est une série d’aventures muettes de Frédéric Maupomé et Stéphane Sénégas - tous deux présents au festival - dont le troisième tome sort en avant-première ce week-end. «Ce projet nous a été envoyé par hasard, mais d’habitude, nos auteurs sont plus choisis par affinités, déclare Flavie Souzy. Nous représentons non seulement des auteurs connus, mais également méconnus, venant de Picardie».



Flavie Souzy, assistante d'édition et de fabrication des éditions la Gouttière, prépare activement les Rendez-vous de la bande dessinée d'Amiens.

Les éditions La Gouttière souhaitent aujourd’hui explorer d’autres horizons que la petite enfance et élargir leur champ de publication. «L’année prochaine, nous publierons une bande dessinée destinée à un public âgé de plus de 10 ans. On incorpore de la peur, un sentiment non exploité dans les précédentes parutions. Plusieurs projets de bandes dessinées adultes nous ont été également proposés, mais pour le moment, nous n’en avons pas retenus».

Éditions de fanzines et sérigraphie

Autre maison d’éditions amiénoise et tout autre projet : les éditions du Monstre. Situées au cœur de la Briqueterie, elles publient quelques illustrateurs amateurs amiénois.

Gauthier, membre de l’association, nous dévoile leur local. C’est dans une petite pièce sans fenêtre mais aux lampes colorées que travaillent les bénévoles. La musique rock, les sérigraphies partout sur les murs, le vieux canapé et les tasses empilées donnent à l’endroit l’aspect d’un refuge artistique.

«Lors des Rendez-vous de la bande dessinée, où nous avons un stand, des personnes viennent nous voir avec une planche de BD ou une sérigraphie, raconte Gauthier. Ce sont des gens lambda. Par exemple, l’an dernier, une jeune fille s’est présentée avec un carnet et nous l’avons publiée».



Gauthier, bénévole et sérigraphe pour l'association des éditions du Monstre.

Les publications du Monstre ne se présentent pas sous un format classique de bande dessinée, mais sous forme de fanzines. Il s’agit d’une parution indépendante, créée et réalisée par des passionnés. «Nous faisons plutôt de la sérigraphie artisanale que de la bande dessinée. Il s’agit d’une technique d’imprimerie utilisant des pochoirs interposés entre de l’encre et le support. On peut prendre n’importe quel support, même s’il n’est pas plan. Cela n’empêche pas certains fanzines de regorger de BD».

Vivre de la publication papier

À l'inverse, le format des bandes dessinées des éditions La Gouttière est classique, afin de rester dans l’aspect livre et papier. «Nous sommes en relation avec la librairie Bulle en Stock, qui vend nos ouvrages, explique Flavie Souzy. Étant une petite maison d’éditions, la notoriété se fait peu à peu».

Pour toucher et participer à l’éducation des enfants, les livres sont accompagnés de fiches pédagogiques. «Certains instituteurs les utilisent dans leurs cours, c’est une manière intéressante et nouvelle d’enseigner».


Une page de fanzines des éditions du Monstre.


La maison d’éditions s’impose à Amiens. «Elle n’a pas encore une excellente visibilité, mais nos ventes sont constantes et l'on fait vivre les bandes dessinées au maximum!», s’enthousiasme Flavie.

Quant aux éditions du Monstre, «en faire partie, c’est plus par loisir. L’association vit un peu des fanzines et sérigraphies grâce aux quelques commandes qu’on nous fait, mais c’est tout», affirme Gauthier.

Du papier au numérique ?

La population lirait de moins en moins de livres, qu’ils soient papier ou numérique. Les bandes dessinées sont-elles concernées? Pour Flavie Souzy, des éditions La Gouttière, un regain d’intérêt pour les livres se ressent. «Nous n’avons pas réellement constaté que nos ventes diminuaient, au contraire. Bien sûr, nous réalisons du muet, mais c’est un premier pas vers l’envie de lecture».

Selon le rapport Ratier, l’Association des critiques et journalistes de bande dessinée (ACBD), 5 565 livres de bande dessinée ont été publiés en 2012 et il existe 326 éditeurs de BD en 2012, soit dix de plus qu’en 2011. Ce rapport indique également une légère hausse du chiffre d’affaires des bandes dessinées (+0.5% en fin septembre 2012).

Pour ne pas perdre le fil, les éditions La Gouttière s'essaient au numérique. «Nous avons mis en ligne un jeu de Sept familles, la Ferme infernale, mais ça n’a pas fonctionné. La bande dessinée Anuki pourrait effectivement exister dans un format numérique. On pense à un petit dessin-animé», affirme Flavie Souzy.

Les éditions du Monstre, quant à elles, ne cherchent pas à aller spécialement vers le numérique. «Nous mettons en ligne des œuvres et des fanzines gratuits en PDF sur le blog, mais ce n’est pas quelque chose d’important dans notre travail», déclare Gauthier.

Et Flavie de conclure: «Le numérique s’impose, mais nous n’avons pas encore les solutions pour l’aborder».

Dans l'œil du Télescope

C'est mercredi que se sont déroulés mes entretiens, d'abord avec Flavie, aux Editions la Gouttière, rue Dejean, puis avec Gauthier, aux Editions du Monstre, à la Briqueterie, rue Lescouvé.