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Internet très haut débit: la Somme s'impatiente

Le 27 February 2013
Enquête commentaires
Par Fabien Dorémus A lire aussi

Demain sera un jour important pour le département de la Somme. Ce jeudi 28 février le gouvernement communiquera sa feuille de route complète pour le numérique. La ministre en charge de l'économie numérique, Fleur Pellerin, devrait annoncer une stratégie claire pour les dix années à venir.

L'affaire est d'importance pour la France, tout d'abord. Car celle-ci semble prendre beaucoup de retard notamment vis-à-vis des pays d'Asie. D'après le quotidien économique Les Échos, 57% des foyers de Corée du Sud étaient reliés au très haut débit fin 2011 contre seulement 3% en France.

Pour combler ce retard, le président de la République, François Hollande, a d'ores et déjà annoncé un plan d'investissement de 20 milliards d'euros avec à la clef la couverture de 100% du territoire en très haut débit d'ici 10 ans, via de la fibre optique.

Fixer un cap clair pour les années à venir est l'objectif gouvernemental de demain. Cela tombe bien, Somme numérique attend des éclaircissements. Pour rappel, Somme numérique est un syndicat mixte, créé en 1998 par le conseil général de la Somme et Amiens métropole, qui est désormais composé de 24 communautés de communes samariennes. Chacune d'elles a délégué au syndicat sa compétence en matière d'aménagement numérique du territoire.

«On est prêts à commencer les travaux!»

Si Somme numérique en attend autant du gouvernement, c'est parce que l'année 2013 doit être synonyme de coup d'envoi de grands travaux dans le département. Au cœur des enjeux: la réalisation du programme voté dès la fin 2011 dans le Schéma directeur territorial d'aménagement numérique (SDTAN) de la Somme.

«On est prêts à commencer les travaux!, explique Marie-Laure Crespel, directrice adjointe de Somme numérique. On attend que les éléments concernant les aides de l'État se clarifient.» Et pour l'instant rien n'est vraiment clair.

Pour élaborer ce SDTAN, «nous nous sommes appuyés sur des textes sortis à l'été 2010 qui précisaient les taux de financement de l'État pour chaque type de travaux», indique Marie-Laure Crespel. Or depuis cette date, un nouveau gouvernement a été mis en place suite aux élections, «et aujourd'hui on ne sait pas quelles suites il y aura.»

Deux courriers au gouvernement

«Il faut un courrier signé du Premier ministre, précise Jean-François Vasseur, président de Somme numérique et vice-président d'Amiens métropole en charge du développement économique. Il faut un engagement de l'État sur les prix, le montant des participations. Pour le moment tout est en stand-by.»

C'est la raison pour laquelle Jean-François Vasseur a adressé un courrier à la ministre Fleur Pellerin à la fin du mois de décembre lui exprimant sa «très forte demande pour que les réponses soient données sans attendre aux collectivités qui sont en situation de mettre en œuvre leurs programmes.»

Le mois suivant, c'est Christian Manable, le président du conseil général de la Somme, qui lui a emboîté le pas en adressant un courrier au Premier ministre. Dans cette missive, Christian Manable alerte le gouvernement sur «le risque qu'il y aurait à remettre en cause les projets déjà arrêtés comme celui de la Somme», jugeant même «catastrophique» toute remise en cause des travaux.

Catastrophique, en effet. «On a monté le projet avec un plan de financement complet et complexe, si les taux de financements changent, on va nous demander de redéposer une demande de financement, ça va impliquer des retards», craint Marie-Laure Crespel.

Objectif 2030

Le projet départemental, issu du SDTAN, a pour objectif, d'ici à 2030, de couvrir la totalité du territoire en FTTH (Fiber to the home, fibre optique qui arrive au domicile de l'abonné). La fibre optique permet un transfert des données extrêmement rapide, de l'ordre de 100 mégabits par seconde (Mbit/s). Qu'est-ce que ça veut dire ? Pour se faire une idée, cette vitesse permet théoriquement de télécharger un film de bonne qualité (1,4 Go) en moins de trois minutes.

«Mais ce n'est pas simple à mettre en place, confie la directrice adjointe de Somme numérique. C'est pourquoi on va faire du 10 Mbit/s sur tout le territoire d'ici 10 ans.» En clair, cela veut dire qu'en attendant la mise en place de la fibre optique, on va augmenter le débit sur les fils de cuivre actuellement utilisés pour le réseau ADSL.

En finir avec le cuivre ?

Par quel miracle ? Il faut savoir qu'un débit ADSL faiblit à mesure qu'il s'éloigne du central téléphonique. Plus le fil de cuivre (le même qui sert au téléphone) est long, plus le débit baisse. La solution réside donc en un raccourcissement de la distance entre le central téléphonique et les abonnés. Pour ce faire, on utilise des relais appelés NRA, pour «Nœuds de raccordement d'abonnés».

Tout est déjà dans les cartons de Somme numérique. Dans son programme opérationnel pour la période 2012-2017, le syndicat a prévu de faire monter à 10 Mbit/s toutes les lignes ADSL du département qui ne bénéficient actuellement que d'un débit inférieur à 2Mbit/s.

«Ça peut être mis en place très rapidement», assure Marie-Laure Crespel, estimant le délai à trois ans. Dans ce même programme 2012-2017, Somme numérique prévoit de couvrir 16% du territoire en fibre optique. À condition d'avoir l'accord du gouvernement.

Pour Jean-François Vasseur, président de Somme numérique, le gouvernement devra également se positionner sur l'avenir des réseaux cuivre, propriété de France Télécom. Ces réseaux qui servent actuellement à faire passer le téléphone et l'internet ADSL. «C'est même la grande question de ce séminaire, explique-t-il. Y aura-t-il une extinction définitive avec une date butoir ?»

«France Télécom fait du lobbying»

En finir avec les réseaux cuivre permettrait d’accélérer l'installation de la fibre optique (FTTH). Car si Somme numérique est maître d'ouvrage dans la pose de la fibre optique, il est également «opérateur d'opérateur». C'est à dire qu'il loue ensuite le réseau FTTH à des opérateurs comme Orange-France Télécom, SFR et autres.

Éviter que le nouveau réseau en fibre optique ne fasse concurrence à celui (en cuivre) détenu par France Télécom, ce serait être sûr d'avoir un retour sur investissement grâce à la location du réseau. «Et France Télécom fait du lobbying, regrette Jean-François Vasseur. L'entreprise va dire: “Le réseau m'appartient, si vous le supprimez, il faut me payer”».

Le comportement d'Orange pose d'ailleurs question dans le département. Car il faut savoir que Somme numérique n'organise pas le réseau très haut débit dans tout le département. Bien sûr, il n'agit pas dans les quelques communautés de communes qui ne sont pas (encore) membres du syndicat. Mais pas seulement.

Le rentable au privé, le reste au public

La création du réseau très haut débit est à la charge d'opérateurs privés (comme Orange) dans les zones où la densité de population est la plus élevée. Ce sont les zones dites AMII (Appel à manifestation des intentions d'investissement). En juin 2010, le législateur a en effet décidé de réserver les zones denses, plus rentables, à l'initiative privée. Laissant à l'initiative publique (Somme numérique, en ce qui nous concerne), les zones les moins rentables. Dans le département, c'est Orange qui doit s'occuper des deux zones AMII que sont Amiens métropole et l'Abbevillois.

Et de nombreux élus constatent des retards à Amiens. C'est le cas d'Oliver Jardé (UDI), membre du comité de Somme numérique. «À Abbeville les travaux ont commencé mais à Amiens, il n'y a rien à ma connaissance. Je m'étonne que Jean-François Vasseur, président de Somme numérique et vice-président d'Amiens métropole, n'essaye pas de peser sur Orange pour faire avancer les choses.»

«Orange a considéré qu'il pouvait faire ce qu'il voulait.»

Jean-François Vasseur fait le même constat: les travaux à la charge d'Orange n'avancent pas. Il avance plusieurs explications. Notamment la difficulté de la pose des armoires: «Elles font 1,70 mètre de côté, ce n'est pas simple de leur trouver une place. L'architecte des bâtiments de France a mis son véto sur 9 des 13 armoires prévues.»

Mais surtout, Jean-François Vasseur fustige l'attitude laxiste du gouvernement précédent vis-à-vis des opérateurs privés. «Aucune sanction n'était prévue si l'opérateur n'investissait pas. Orange a considéré qu'il pouvait faire ce qu'il voulait.» Contractualiser, dans tout le pays, l'engagement des opérateurs privés en zones AMII pourrait être annoncé demain. Encore un point sur lequel la Somme attend le gouvernement au tournant.

Dans l'œil du Télescope

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