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Hub: pourquoi la Région soutient la recherche

Le 05 November 2013
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Par Mathieu Robert


Maquette du «Hub», par Nickl & Partner, présentée au Carré de la république à Amiens le 17 octobre

Le conseil régional de Picardie va investir 15 millions d'euros pour financer la construction d'une plateforme de recherche, le Hub, dont les plans ont été dévoilés au public hier soir, rue Baudelocque à Amiens.

Situé en plein de cœur de la fac de sciences d'Amiens, ce colosse de 22 millions d'euros devrait être sur pieds en 2016 en grande partie grâce à l'aide de la Région, présidée par le socialiste Claude Gewerc, qui semble en avoir fait une de ses priorités. Pourtant, voir une collectivité locale investir dans la recherche est étonnant à plus d'un chef.

Tout d'abord parce que cela ne fait pas partie des compétences traditionnelles des conseils régionaux, qui ont à charge le développement économique, l'éducation et la formation professionnelle de leur région. Le financement de la recherche scientifique incombe habituellement au ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche.

S'il s'agit de soutenir l'économie picarde, le choix est tout aussi étonnant car le chemin de la recherche scientifique à la création d'emplois en région est long et hasardeux. Comme le dit lui-même Jacques Secret, chargé de mission Innovation au cabinet de Claude Gewerc: «La recherche est un bien libre». Autrement dit, les publications scientifiques des chercheurs picards sont à la disposition des chercheurs du monde entier.

Quand bien même ces recherches seraient-elles converties en nouvelles technologies par des industriels français, leurs sites de production seraient-ils implantés en Picardie? La question mérite d'être posée à l'heure où, à Amiens nord, Goodyear tente de finaliser la délocalisation de sa production de pneus de voitures en Pologne.

Un laboratoire de renommée internationale

Dans un premier temps, le Hub accueillera le LRCS, Laboratoire de réactivité et de chimie des solides. Derrière ce nom barbare, une équipe de chercheurs entièrement dédiée au développement de nouvelles batteries. Un laboratoire de recherche scientifique certes, mais avec un objectif technologique précis, améliorer le stockage de l'énergie.

Depuis 1995, le laboratoire est dirigé par Jean-Marie Tarascon, présenté par le Journal du dimanche comme le «cerveau» de la Picardie. Le chercheur est reconnu mondialement pour être le père de plusieurs technologies de batteries au lithium.

Téléphones, ordinateurs, ces batteries au lithium sont aujourd'hui utilisées dans de nombreux appareils domestiques. Problème: elles sont produites principalement en Chine, au Japon et en Corée du Sud. En 2012, ces pays concentraient de 85 à 90% du marché, selon une étude du cabinet international Frost & Sullivan.

Jean-Marie Tarascon est aussi connu pour avoir refusé en 2010 un «poste en or» dans une université californienne. La région Picardie et le ministère de la Recherche avaient alors fait des pieds et des mains pour le retenir.

Un an plus tard, il était à la tête du RS2E, un réseau de recherche français sur le stockage de l'énergie, créé par la ministre de la Recherche et de l'enseignement supérieur Valérie Pécresse, et dont le LRCS amiénois est aujourd'hui la tête de réseau.

Investir dans la recherche: pas de garantie de retour

Atypique dans le monde de la recherche, le LRCS est proche de l'industrie et à la croisée d'enjeux industriels importants. Car derrière le RS2E, un «club d'industriels» de pavillon français comme Renault, EDF ou Total s'est investi en 2010.

Le partenariat avec les industriels, en quoi ça consiste? Lorsqu'une équipe de chercheurs du R2SE aboutit à un résultat nouveau et intéressant, elle le brevette. Les chercheurs ont alors dix-huit mois avant que leurs brevets ne paraissent publiquement et que les laboratoires concurrents ne découvrent leurs avancées.

Pendant ce temps, ils se tournent vers les industriels partenaires à qui ils présentent leurs découvertes. S'ils sont intéressés, les Renault, Total ou EDF financent une partie onéreuse du développement, le passage des brevets à l'international, qui peut coûter plusieurs dizaines de milliers d'euros. En échange, ils peuvent disposer d'une licence exclusive valable jusqu'à trois ans. Durant cette période, ils sont les seuls à pouvoir exploiter les découvertes du R2SE.

L'enjeu est important car le R2SE est en concurrence avec des réseaux asiatiques, américains mais aussi allemands.

La batterie: un avenir industriel incertain en France

Et quand bien même les Français gagnaient la course? Quelle garantie aurait-on de voir les usines de batteries apparaître en Picardie? Les exemples d'implantations d'usines de batteries en France sont rares.

En 2011, Renault s'était engagé à produire les batteries de ses voitures électriques Zoe à Flins dans les Yvelines. C'est finalement le sud-coréen LG Chemical qui approvisionne aujourd'hui l'usine où sont produites les Zoe. Un projet d'implantation d'une usine de batteries LG en France avait bien été annoncé en 2012, il est aujourd'hui gelé.

Dans le monde de la batterie non plus, le pavillon français ne garantit pas des usines françaises. En 2009, le groupe Dassault s'est par exemple associé avec les américains Dow et TK advanced battery pour fonder l'entreprise Dow Kokam et ouvrir deux usines de production de batteries aux États-Unis.

En France, ce sont parfois les Allemands qui viennent produire des batteries, comme Bosch pour ses vélos électriques dans le Calvados. L'américain Saft possède plusieurs usines de production de batteries en France, notamment au Lithium-ion, mais souhaite se séparer de son usine de batteries au nickel, à Nersac en Charente.

La région espère-t-elle des retombées directes en emplois industriels? Pas vraiment. «Les critères de localisation de l'industrie, c'est par exemple le coût de la main d’œuvre. La localisation d'un laboratoire de recherche, ça ne joue que sur un centre de recherche et développement», reconnaît Jacques Secret.

Le miel pour attirer les entreprises

Ce qu'espèrent les élus régionaux, c'est que des centres de recherche d'industriels viennent s'agréger à la plateforme de recherche publique. D'où son nom, le Hub. C'est moins les emplois industriels, que la matière grise que la Région cherche à attirer grâce à Jean-Marie Tarascon. «Le centre de développement de l'entreprise Faurecia à Méru, c'est 600 personnes, rappelle Jacques Secret. L'industrie de la recherche a aussi besoin de main d’œuvre».

Pour comprendre ce soutien de la Région, il faut comprendre que les élus voient la présence de ce laboratoire comme une aubaine. «La Picardie est un petit territoire qui a eu du mal à avoir une université, rappelle Jacques Secret. Avoir un laboratoire comme celui-ci, c'est considérable.»

Selon lui, le laboratoire pourrait permettre de promouvoir notre territoire à l'étranger. «Amiens sera une ville où l'on peut faire des choses», explique également Anne Ferreira, élue régionale au développement économique. «Nous étions récemment au Brésil, illustre Jacques Secret. On nous a demandé ce que nous faisions dans la région. Il faut répondre quelque chose. L'attractivité commence par la capacité à exister».