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Histoire d'une division chez les communistes

Le 06 September 2012


Fabienne Debeauvais et Cédric Maisse, deux des trois élus communistes dissidents au Conseil municipal.

Ils sont trois élus communistes à ne plus avoir les clés du local du groupe «Communistes et citoyens» au conseil municipal d'Amiens. Trois militants, qui adhèrent toujours au Parti communiste français (PCF) à Amiens, mais ont été exclus de leur groupe à la Mairie.

Comment est-ce possible? «On a du mal à expliquer ces histoires», reconnaît l'un des intéressés.

Lors des dernières élections en 2008, les candidats communistes de la section d'Amiens du PCF avaient rejoint une liste d'union de la gauche, PS-EELV-PCF, emmenée par le socialiste Gilles Demailly.

Quelques mois plus tard, trois des huit élus communistes commencent à voter contre les résolutions de leur majorité. Cédric Maisse, Fabienne Debeauvais et Maria-Helena Loew. Ils ne se retiendront plus dès lors de s'opposer aux décisions de la municipalité et à leurs cinq camarades élus communistes restés solidaires de leur majorité, dont Laurent Beuvain, secrétaire de la section amiénoise du PCF.

Qu'est ce qui a séparé et divise encore les deux groupes communistes? Premier différend, le bilan de la municipalité sous l'ère Demailly.

Deux analyses du bilan de Gilles Demailly

Pour Cédric Maisse la fracture s'est en partie faite autour de l'application du programme de Gilles Demailly. Fin 2008, il commence à s'opposer à la majorité: «Cela s'est fait naturellement avec l'arrivée des dossiers au Conseil municipal.» «Ce programme se disait social, embraye Fabienne Debeauvais, mais nous observions que la municipalité continuait de donner de l'argent aux entreprises».

«Le programme sur lequel nous avions été élus ressemblait à celui du Front de Gauche», assure pourtant Cédric Maisse, qui estime que l'application stricte du programme lui aurait convenu. C'est, à ses yeux, tout l'inverse qui s'est passé. «On a l'impression que l'on a continué ce que faisait De Robien, mais sans les travaux délirants. Nous aurons un bilan affreux aux prochaines élections».

Aujourd'hui, l'élu ne sent plus solidaire de son ancienne tête de liste, Gilles Demailly: «On nous dit que la mairie est un super tanker, qu'il faut du temps pour l'arrêter. Mais ce n'est pas vrai, si on a la volonté politique, c'est possible». Une chose est sûre, il ne se voit pas donner de blanc-seing à Gilles Demailly aux prochaines élections, même si une alliance avec le PS n'est pas exclue: «Nous en discuterons entre militants».


Laurent Beuvain, élu communiste, toujours solidaire de la majorité municipale.

À l'inverse, le chef de la section PCF amiénoise, Laurent Beuvain, assume parfaitement le bilan de sa majorité plurielle. «80% du projet a été réalisé et il nous reste 18 mois», assure-t-il. «Quand on nous dit qu'on a fait une gestion trop austère, je dis “gestion modeste, digne et puissante”, mais pas d'aventurisme. Nous essayons de désendetter la ville, pour pouvoir faire de l'autofinancement.»

Bref, l'élu paraît, sous réserve de l'appui des militants, prêt à reconduire l'union de la gauche aux prochaines municipales: «Nous allons organiser des ateliers au sein du PCF, du Front de Gauche, de la majorité. Chacun produira des documents, nous ferons un tas, et nous verrons si nous pouvons y aller ensemble», explique Laurent Beuvain. «Aujourd'hui, on travaille bien, demain, il faudra que l'on travaille mieux, que l'on soit plus ambitieux».

Dans la majorité à Amiens, dans l'opposition au gouvernement

Une position d'ouverture au PS, qui peut paraître paradoxale, aujourd'hui. Depuis les élections municipales, la situation du PCF a changé dans l'échiquier national. Le parti a participé à la création du Front de Gauche qui refuse de participer au gouvernement socialiste.

Pas de contradiction pour Laurent Beuvain: «Le gouvernement donne la politique générale. À Amiens, localement, on est le premier échelon de résistance. Ne pas y être, c'est laisser faire n'importe quoi», défend-il. «Et au gouvernement, c'est le premier ministre qui décide des moyens. C'est réglé d'avance. Ici, on a la possibilité de l'ouvrir.»

Pour autant la liberté de parole a ses limites. Comme au gouvernement, la solidarité entre élus de la majorité semble être la règle à Amiens, surtout lors des votes: «Dire non localement, c'est embêtant», reconnaît l'élu communiste.

C'est le non respect de cette règle de solidarité qui a valu à Fabienne Debeauvais et Cédric Maisse d'être exclus du groupe communiste à la Mairie: «Ils se sont exclus eux-mêmes», tranche Laurent Beuvain.

Ce qui sépare les deux camps dépasse parfois les affaires locales. Au sein du petit groupe communiste désolidarisé de la majorité, Cédric Maisse et Fabienne Debeauvais partagent, à des degrés divers, une certaine défiance vis-à-vis du Front de Gauche. 

Deux visions de l'avenir du PCF

«Cédric Maisse pense que le Front de Gauche fera disparaître le Parti communiste», explique Laurent Beuvain.

En effet, Cédric Maisse ne cache pas sa méfiance vis-à-vis de cette alliance électorale née en 2009. Pour lui, l'alliance ne doit pas devenir un seul et même parti, et signer ainsi la disparition du PCF. Et encore, il reste même sceptique quant à une éventuelle dynamique apportée par le Front de Gauche. «On ne peut pas être seulement un parti qui passe dans les médias, il faut être sur le terrain. Le Front de Gauche, personne ne sait ce que c'est, ce n'est pas enraciné

Fabienne Debeauvais, elle, se dit franchement opposée à l'existence du Front de Gauche, même sous forme actuelle: «Nous avons nos valeurs au Parti communiste. Par exemple, les licenciements chez PSA devraient être une bataille nationale», tonne celle qui a signé, cet été, le texte «Rompre avec les stratégies d’effacement du PCF». Un texte, signé par de nombreux militants de l'Aisne, qui appelle le PCF à se désolidariser du Front de Gauche, considérant que «le Parti communiste est toujours le meilleur outil politique révolutionnaire dans la lutte des classes».

Une rupture, deux récits

Et dans les faits, à quel moment la rupture se consomme-t-elle entre les élus communistes ? Rapidement, si l'on en croit les deux camps. 

Racontée par Laurent Beuvain, la fracture entre les deux groupes se noue autour de divergences idéologiques, mises au jour lors d'élections interne au PCF amiénois, peu de temps après les élections municipales: «Je voulais passer la main de la section d'Amiens du PCF», retrace Laurent Beuvain. «Je suis entré en contact avec Cédric Maisse pour qu'il me succède éventuellement. Mais j'ai senti, dans les documents qu'il produisait, une certaine radicalisation à l'approche du congrès. Nous avons donc fait donc marche arrière, et décidé de mener le combat politique contre Cédric Maisse».

A l'issue de l'élection, Laurent Beuvain est reconduit à la tête de la section d'Amiens. Mais pour Cédric Maisse et Fabienne Debeauvais, le scrutin aurait été entaché d'irrégularités. Malgré l'avis contraire d'une commission électorale, pour les deux militants, c'est la rupture.

Et cette rupture entre militants va se traduire d'emblée au Conseil municipal.

A la suite de ce scrutin, Cédric Maisse ne reversera plus son indemnité d'élu municipal au PCF, comme c'est la tradition dans ce parti. «Je consacre cet argent à l'Aube Nouvelle», un journal militant dans lequel il expose sa vision de la vie politique amiénoise. «Je reverserai cet argent au PCF quand Laurent Beuvain fournira les rapports financiers de la section».

Depuis 2008, les deux camps ne se parlent plus. L'ambiance est tendue: «Ils prennent le temps de disserter sur la couleur de ma chemise, m'accusent d'être un suiviste, un liquidateur du parti», regrette Laurent Beuvain. Une inimitié qui mènera Laurent Beuvain et Cédric Maisse devant la justice.

En somme, le dialogue est bel et bien rompu. Aujourd'hui les élus communistes dissidents pensent à fonder leur propre groupe au Conseil municipal: «Avec deux élus, on peut faire un groupe. Cela permet d'avoir un local et un collaborateur, quelqu'un qui défriche les dossiers. » 

Dans l'œil du Télescope

Cédric Maisse et Fabienne Debeauvais ont été interviewés, lundi dernier, à la terrasse du Bureau, place de l'Hôtel de Ville. Cédric Maisse a été recontacté plusieurs fois par téléphone.

Laurent Beuvain a été interviewé dans son bureau d'élu municipal, à la mairie d'Amiens, vendredi dernier. Il a été ensuite recontacté par téléphone.

Contacté par téléphone, Joël Carliez, secrétaire de la fédération PCF de la Somme du n'a pas souhaité s'exprimer.

Crédit photo Home: Julio Costa Zambelli.