Archives du journal 2012-2014

Hébergement des réfugiés: les associations dépassées

Le 25 June 2013

«Tous les acteurs se regardent et on n'y arrive pas». Comme le soulignait ce directeur de foyer d'hébergement des demandeurs d'asile, jeudi dernier lors d'une table ronde organisée dans une auberge de jeunesse du square Friant à l'occasion de la Journée internationale du réfugié, les problèmes sont nombreux dans cette filière.

La vertu de cette table ronde organisée par la Fnars, la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale: n'avoir pas fait l'impasse sur les sujets qui fâchent, les sujets qui compliquent la tâche des associations qui travaillent à l'accueil et à l'insertion des réfugiés et demandeurs d'asile.

Dans la Somme, tous les dispositifs d'hébergement sont gravement surchargés: les hébergements d'urgence dus à tous les sans-abris et ceux légalement dus aux demandeurs d'asile. C'est ce que soulignait Eliane Gillet, présidente de l'antenne picarde de la Fnars, en introduction de la journée. Pour la présidente de la fédération d'association qui gère ces hébergements, cela met les travailleurs sociaux et leurs structures dans un «positionnement éthique difficile».

Les demandes d'asile progressent de 6%

Quelques chiffres pour éclairer la situation: la France a connu une hausse des demandes d'asile de 6% entre 2011 et 2012. Si, en 2010 et 2011, la région picarde accueillait 700 à 800 demandeurs d'asile par an, elle en a accueilli plus de 1200 en 2012.

Lorsqu'un ressortissant étranger ou un apatride demande l'asile à la France, la loi prévoit de loger cette personne dans des Cada (Centre d'hébergement des demandeurs d'asile). Ces Cada sont gérés par des associations, comme Coallia ou l'Apremis, structures que l'État français rémunère de façon forfaitaire, à la nuitée.

En Picardie, pour faire face aux 1200 nouveaux demandeurs d'asile en 2012, les structures ne disposent que de 919 places en Cada. «C'est insuffisant au regard du nombre d'arrivées et du nombre de personnes suivies», expliquait Arnaud Dehedin, représentant la préfecture de région lors de cette table ronde sur l'accueil et l'hébergement des demandeurs d'asile en Picardie.

En effet, les 919 places sont déjà remplies par des personnes dont le dossier est en cours de traitement. Bien souvent les dossiers de demande d'asile mettent plus d'un an à se solder. En 2012, en moyenne six mois sont nécessaires pour que l'Ofpra statue sur le cas d'un réfugié  (source Ofpra), et 10 autres mois sont nécessaires à la décision de la Cour nationale du droit d'asile (source CNDA), l'instance de recours. Pendant tout ce temps, l'État doit loger les demandeurs d'asile.

La rue et l'urgence à la sortie du Cada

Mais les options, pour les déboutés, se réduisent souvent à la rue ou à l'hébergement précaire, d'urgence, lors de la sortie du Cada. (voir notre article) Du coup, nombreux sont ceux qui continuent à occuper le logement dont ils pouvaient bénéficier lorsque leur demande d'asile était encore en traitement. Faute de meilleure solution.

Selon la préfecture de la Somme, ce sont aujourd'hui 50% des logements de Cada qui sont occupés «indûment». Les mathématiques sont impitoyables: pour toutes ces raisons, 650 demandeurs d'asile attendent d'être logés en Cada.

«Fluidifier» les parcours des déboutés

Que faire? Le représentant du préfet évoque plusieurs pistes pour améliorer l'accueil des migrants, dont cet hébergement d'urgence de droit commun. «On ne peut pas orienter ces demandeurs d'asile vers les autres départements, tranche le fonctionnaire. Il faudrait multiplier les places, et accueillir les déboutés dans l'hébergement d'urgence le plus vite possible».

Monique Végéga, de l'association Apremis, constate aussi les points de blocage sur les sorties des déboutés qui empêchent de «fluidifier les dispositifs». L'Apremis est directement victime de l'engorgement de ses places en Cada par des réfugiés sans statut qui, déboutés, ne seront probablement jamais renvoyés dans leur pays d'origine. «Dix ans après leur arrivée sur le territoire, on les retrouve dans les mêmes conditions précaires et à mon sens ils ne seront jamais reconduits.» Selon Monique Végéga, il y aurait dans la Somme, près de 600 personnes dans ce vide absolu d'encadrement, que son association tente d'aider.

«Les demandeurs d'asile se trouvent maintenant dans des situations d'errance ou de prise en charge hôtelière», pointe Nordine Djebarat, directeur de Coallia dans l'Oise. Comme l'Apremis, Coallia est exposée au cas de ces déboutés du droit d'asile qui occupent leurs hébergement de Cada. «Ils arrivent trop tardivement dans les Cada. C'est aussi ce qui provoque tant d'échecs dans l'obtention du statut de réfugié».

Nordine Djebarat, directeur de Coallia dans l'Oise, rencontre des problèmes similaires d'encombrement des foyers de demandeurs d'asile.

En effet, plus tardive est l'arrivée des demandeurs d'asile dans les centres qui leur sont dédiés, moins bonne est leur prise en charge par les travailleurs sociaux et les psychologues. Or la demande du statut de réfugié à l'Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides) nécessite de motiver précisément sa demande, en montant un dossier précis et circonstancié sur les raisons de l'exil.

Pour certains professionnels, cette pression explique, en partie, le peu de dossiers acceptés en première instance par l'Ofpra. Ainsi, d'après le rapport d'activité 2012 de l'office, dans les cas de procédures prioritaires, les entretiens avec les demandeurs d'asile sont menés en un mois et demi, environ. Et seuls 5% de ces dossiers ont été admis en 2012. Dans la procédure normale 9,4% des dossiers ont été acceptés par l'Ofpra, et 15,2% des recours ont été fructueux devant la CNDA. Beaucoup de candidats, mais peu de gagnants.

Coallia gère les flux

«Il faudrait améliorer les flux de sortie de Cada pour permettre les flux d'entrée? Il y aurait bien la solution de régulariser en masse! Cette mise en avant des contraintes masque, selon moi, un vide éthique», s'est scandalisé Michel Ravailhe, représentant du Réseau éducation sans frontière (RESF), dont les membres tentent, à leur façon, de venir en aide aux réfugiés.

Ces militants connaissent bien les problèmes d'encombrement des Cada. Ce sont même eux qui conseillent aux migrants déboutés de ne pas rendre les clefs de leurs logements. Ils savent que, derrière la sortie de Cada, il n'y a guère de solution humaine et stable. Dans ce contexte d'encombrement croissant, les militants dénoncent aussi une pression exercée par la préfecture sur les gestionnaires de Cada, comme Coallia. Et la pression répercutée par ces associations sur les migrants déboutés.

Changer les serrures des locataires récalcitrants

Marcel Dekervel, militant de RESF et de la Ligue des droits de l'Homme (LDH) évoque plusieurs de ces cas. «Avant, Coallia mettait la pression pour récupérer les clefs des logements, aujourd'hui, il arrive qu'ils changent les serrures en l'absence des locataires.» Et de citer Mher et Anna, deux migrants qui, en revenant d'une semaine en centre de rétention, n'ont pas pu rentrer dans leur logement pour récupérer leurs affaires.

Il y a encore Armin Gasparyan, dont le compagnon, sous le coup d'une obligation de quitter le territoire français, a été assigné à résidence dans un hôtel de la métropole amiénoise, loin du logement de Cada qu'il occupait avec sa concubine et son fils. «Des gens de Coallia ont débarqué chez eux, en pensant qu'elle serait absente, et lui ont signalé qu'ils avaient eu l'ordre de changer la serrure. On l'a menacée d'envoyer la police.» Manque de mansuétude et d'humanité, pour les militants de RESF.

La direction de Coallia dans la Somme n'a pas souhaité répondre aux accusations de RESF concernant les changements de serrure. La Préfecture explique avoir annoncé à la direction de Coallia qu'Armin Gasparyan aurait, ce soir-là, quitté son logement de Cada pour rejoindre son concubin dans la chambre d'hôtel dans laquelle il était assigné. Et que son logement serait, par conséquent, libre. Mais à l'hôtel, les gendarmes avaient fait comprendre à la jeune femme qu'elle et son fils n'étaient pas autorisés à rester. D'où le cruel quiproquo.

Des sanctions contre les Cada qui se laissent occuper indûment

Il faut dire que les pressions sont nombreuses sur Coallia ou l'Apremis: la loi prévoit des sanctions financières pour les Cada où l'on recense des présences indues. En effet, une minoration des subventions est prévue, lorsque le prestataire ne respecte pas le cahier des charges de l'État. Par exemple si la barre des 20% de présence indue a été franchie depuis plus de deux ans. Dans la Somme, cette limite a été franchie l'été dernier.

Mais la Préfecture souligne que l'application de ces sanctions n'est pas à l'ordre du jour: Coallia montre que des efforts sont menés pour régler cette situation.

En effet Coallia «a décidé qu'une procédure contentieuse serait systématiquement ouverte à l'encontre des personnes se maintenant sur le Cada en présence indue», explique leur rapport d'activité 2012. En clair: les réfugiés déboutés sont régulièrement sommés, devant la justice, de quitter les logements.

Selon ce même document, trente de ces procédures ont été menées en 2012.

Dans l'œil du Télescope

Pour aller plus loin sur le sujet, vous pouvez consulter les échanges par voie de presse, entre la préfecture et le réseau éducation sans frontière.

La photo d'illustration de cet article montre une page du livre d'or de cette journée des réfugiés organisée par la Fnars. La question du droit au travail est revenue souvent dans les débats.