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Grossesses ados : un gros besoin d'accompagnement

Le 10 December 2012
Enquête commentaires

En 2004, face au taux élevé de grossesses adolescentes dans le département, le conseil général de la Somme collaborait avec le Kent en Grande-Bretagne sur le programme européen «Let’s Talk - Parlez moi d’amour».

En Picardie, on comptait alors 1% de naissances par an chez des mères de moins de 18 ans, contre 0,6% pour la France, et la région occupait le second rang pour la proportion d’Interruption volontaire de grossesse (IVG) réalisées auprès de mineures, 8,2% contre 5,4% en France métropolitaine. Depuis, la situation est légèrement moins préoccupante, selon Catherine Huette, chef de service PMI (Protection maternelle et infantile) au conseil général, qui parle d’une proportion de naissances pour 2011 de 0,75%.

«Le nombre de naissances chez des mères mineures est en diminution sur le département. Cependant, nous n’observons cette baisse que sur 2011, elle reste donc à confirmer car il peut y avoir des fluctuations d’une année sur l’autre qui ne seront finalement pas significatives. Sur l’Oise et l’Aisne, la baisse est plus marquée, comme sur le territoire national», nuance Nadège Thomas de l’Observatoire régional de la santé (OR2S).

«Derrière tout cela se pose le problème de la contraception. Beaucoup de choses ont certes évolué depuis la loi de 1967 mais tout n’est pas résolu loin de là, plaide le docteur Patrick Kaczmarek du centre d’orthogénie du CHU d’Amiens. L’information délivrée n’est pas toujours satisfaisante et le sujet n’est pas abordé sereinement». Or la contraception n’est que le volet le moins inconfortable choisi par les politiques publiques pour effleurer le sujet de la sexualité adolescente.

Le remboursement de la contraception aux 15-18 ans risque de n’avoir pour seule efficacité que d’honorer une promesse du candidat Hollande lors de la campagne présidentielle. Il ne résoudra pas le problème majeur de l’accessibilité dans les zones rurales et de la confidentialité par rapport aux parents et restera partiel, limité à quelques pilules. «Or l’adolescence c’est une vie d’impulsion. Prendre une pilule, c’est anticiper, cela demande une maturité psycho-affective que beaucoup de jeunes filles ne possèdent pas encore», explique Dominique Dorival, psychologue au centre d’orthogénie du CHU d’Amiens. Une contraception pas forcément adaptée donc, avec son corollaire d’oublis trop fréquents.

Changez de discours

La contraception adolescente mérite d’être repensée. Plus que cela c’est en fait sur la sexualité des jeunes qui doit se libérer la parole des adultes. «Suite à la collaboration avec le Kent, l’agence régionale de santé et le conseil régional ont mis en place des formations sur les grossesses adolescentes pour les personnels de l’éducation nationale et les réseaux des centres de planification du conseil général et les sages-femmes», veut illustrer Anne-Sophie Pourchez, cadre technique des infirmières scolaires au rectorat de l’académie d’Amiens.

Ces formations doivent ensuite permettre de délivrer de l’information à la vie sexuelle et affective dans les établissements scolaires. Trois séances par an sont obligatoires de l’école au lycée. La mise en œuvre pose néanmoins encore question dans beaucoup d’établissements. À qui incombe le rôle d’organiser de telles séances? Tous les collèges et lycées ne disposent pas d’un poste à temps plein d’infirmière scolaire. «Parfois, il y a bien une infirmière mais le chef d’établissement considère que ce n’est pas son rôle», a pu observer Maryse Peters, conseillère conjugale du CHU qui intervient aussi dans les établissements scolaires.

Les interventions des conseillères des centres de planification permettent parfois de décharger les établissements mais toutes les demandes sur le département ne peuvent être satisfaites. «Il manque surtout un vrai recul, ces thématiques ne sont pas forcément bien abordées avec les ados. Les enseignants ont du mal parfois à admettre qu’il ne s’agit pas d’un cours théorique et qu’il faut partir des questionnements des jeunes», déplore Delphine Bouënel, psychologue au centre de planification d’Albert.

Laurianne Alluchon, professeur des écoles de formation, occupe un poste dans un internat en Segpa (Section d’enseignement général et professionnel adapté). Elle observe des grossesses dès le collège. «La circulaire sur les séances d’information demande de dépasser le discours purement médical, pour parler vraiment sexualité, rapport filles-garçons par exemple. Dans certains établissements, le sujet reste complètement tabou pour des adultes qui se projettent trop et ne savent pas reconnaître aux ados une sexualité qui leur est propre!», a-t-elle constaté avant de décider de mettre en place des ateliers sur ces questions dans son établissement.

Désir de grossesse et statut social

Car derrière une grossesse précoce ne se cache pas toujours un simple problème contraceptif. «Les adultes se renvoient souvent la balle et pourtant la majorité des grossesses adolescentes sont voulues», ose interpréter Anne-Sophie Pourchez. En réalité, il est périlleux de vouloir généraliser les situations toutes intimes et complexes de jeunes filles à un âge charnière.

«Pour les plus jeunes, de moins de 15 ans, il s’agit le plus souvent d’un accident lors des premiers rapports sexuels. Là, une meilleure information est toujours utile, pour tordre le cou à des idées fausses et aider à désamorcer les pressions sentimentales que peuvent subir les jeunes filles. Vers 16-17 ans par contre, il arrive beaucoup plus fréquemment qu’il y ait un désir de grossesse, quelque peu différent du réel désir d’enfant. Ce qui explique peut-être que la proportion d’IVG chez les mineures ne soit actuellement pas plus forte ici que dans le reste de la France», explique Dominique Dorival.

La structure sociale du département rend l’avenir de certains jeunes morose. La maternité se pose alors pour certaines jeunes filles comme l’acquisition d’un statut, une nouvelle reconnaissance, une revalorisation à leurs propres yeux. «Parfois des jeunes arrivent dans un lycée professionnel par défaut. Elles manquent d’estime d’elles-mêmes. Alors elles se disent qu’elles pourraient être de bonnes mères. Il arrive aussi que leurs mères aient elles-mêmes vécu la même histoire», a observé Christine Lefebvre, conseillère conjugale au centre médico-social d’Amiens Nord.

Tout un délicat travail social et éducatif, notamment par les séances d’information en établissement, consiste alors à montrer qu’une femme peut aussi exister en dehors de la maternité, à déconstruire des schémas familiaux établis depuis plusieurs générations. À soutenir et accompagner aussi sans stigmatisation et avec bienveillance les jeunes filles dans leurs choix.

«Il peut y avoir des pressions du petit copain ou des parents pour que la jeune fille avorte ou qu’elle garde l’enfant au contraire. Notre rôle est de s’assurer que le choix définitif relève bien de la décision de l’adolescente. Bien entendu, il ne s’agit pas d’évacuer ses parents pour autant, mais de l’aider à recréer du lien s’il a été rompu», replace la conseillère.

Juste un moment de vie

Une fois la décision prise de garder l’enfant, la jeune fille peut recevoir des allocations qui l’aideront à assumer financièrement sa nouvelle situation. Pour autant, cela ne fait pas d’elle du jour au lendemain une adulte. «Le message que nous cherchons à faire passer, c’est qu’il est possible de continuer une scolarité, aménagée selon les besoins de la jeune mère. Il ne s’agit pas d’enfermer la jeune fille chez elle, ce qui nécessite parfois d’intervenir auprès des parents. Il n’y a aucune raison de se cacher, il faut que cela reste un choix de vie», raconte Anne-Sophie Pourchez. «Il serait illusoire de penser enrayer ces situations, nous devons nous donner les moyens de mieux les accompagner».

La plupart des jeunes mères restent dans leurs familles, dans les trois ans un couple sur deux qui a donné un enfant à une mère mineure n’existe plus. Dans les situations les plus critiques, l’aide sociale à l’enfance peut décider du placement de la mère et de l’enfant en foyer. Une situation marginale dans la Somme où il n’existe qu’un foyer de la sorte, la maison maternelle La Courte échelle de l’association Agena.

«Nous pouvons recevoir 10 mineures ou jeunes majeures jusqu’à 21 ans enceintes ou avec un enfant de moins de 3 ans. Nous sommes au complet et il arrive parfois de devoir refuser des demandes. Préparer une sortie pour une jeune, cela prend du temps», explique la directrice Aurore Trouillet.

Le temps passé au foyer est une respiration aussi, un moment de reconstruction pour élaborer un projet. «Il faut faire évoluer l’image qu’elles ont d’elles-mêmes en foyer. Il s’agit d’accompagner leurs projets personnels. Le plus compliqué n’est pas de leur trouver un logement et de leur ouvrir des droits mais de leur faire acquérir une vraie autonomie», indique Pierre, assistant social.

Le regard de la société sur ces très jeunes mères gagnerait à évoluer vers plus de bienveillance, loin des jugements qui sont aujourd’hui posés sur elles. «Elles sont pleines de ressources, contrairement à ce que l’on pourrait penser, et ont besoin que l’on s’intéresse à elles au-delà de ce statut de mère», milite Aurore Trouillet. «Avoir un bébé très jeune ne signifie pas être une mauvaise citoyenne et leurs vies continuent à se construire. Assumer l’enfant, c’est une étape, un moment de vie.»