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Goodyear: le point avant la tempête

Le 18 November 2013
Analyse commentaires
Par Mathieu Robert

Le temps semble s'accélérer chez Goodyear. Après deux longs mois d'offensive judiciaire de la CGT (voir notre article), la direction vient de reprendre l'initiative.

Elle a tenu le 7 novembre dernier au siège de Goodyear France une réunion du Comité central d'entreprise (CCE), censée clôturer la procédure d'information et de consultation en vue du licenciement des salariés d'Amiens nord.

L'opération est contestée par la CGT. Mais Goodyear déroule sans écouter les reproches qui lui sont faits. Ainsi, une réunion du comité d'entreprise du site d'Amiens nord s'est tenue la semaine dernière.

La direction accélère le jeu. Si bien que, ce matin, des actions sont prévues par la CGT, sur le site d'Amiens nord. Le syndicat veut reprendre en main l'agenda et promet des surprises, dès six heures, ce matin.

À Paris, demain soir, ce sera au tour d'Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif d'être interrogé par la Commission d'enquête parlementaire Goodyear. Ce rendez-vous sera probablement le dernier d'une vingtaine d'auditions menées depuis septembre par les députés Pascale Boistard (PS) et Alain Gest (UMP).

Les grands absents de ces débats restent jusqu'à aujourd'hui les PDG du groupe «Goodyear Tire and rubber» et de «Titan international», respectivement Richard J. Kramer et Maurice Taylor. Ce sont les principaux protagonistes de l'affaire Goodyear mais les parlementaires français ne les ont visiblement pas convaincus de faire le déplacement jusqu'à Paris.

L'audition d'Arnaud Montebourg nous rapproche de la fin des travaux de la Commission, dont le rapport doit être examiné le 11 décembre prochain à l'Assemblée nationale. Le ministre, à qui Titan a remis son offre de reprise partielle du site d'Amiens nord (voir notre article) a pris une place importante dans le dossier Goodyear. Il pourra éclairer les parlementaires sur les derniers rebondissements des négociations entre Titan, Goodyear et la CGT.

Les pneus tourisme: fin de l'histoire à Amiens nord

En attendant, faisons le point. Que nous disent la vingtaine d'auditions qu'a conduites la Commission parlementaire sur l'avenir de l'usine d'Amiens nord? 

Tout d'abord que la production de pneus tourisme y est définitivement condamnée. Dès le mois de mai 2009, le groupe Goodyear avait officialisé sa volonté de fermer l'activité tourisme.

Pour celui qui était alors le directeur du site, Olivier Rousseau, c'est l'échec des négociations, en 2007, sur la création d'un complexe unique Goodyear-Dunlop qui a convaincu le groupe de se désengager. «Nous avions fini de convaincre le management du groupe qu'il s'agissait d'un projet nécessaire et prioritaire, explique-t-il lors de son audition, fin septembre. Vous connaissez la suite».

La CGT ne fait pas la même analyse. Pour le syndicat, la décision de fermer l'activité tourisme est actée depuis plus longtemps par le groupe Goodyear. Mickaël Wamen notait d'ailleurs, lors de son audition, que la baisse de production de pneus tourisme à Amiens nord avait débuté dès 2004 et non en 2007 après le refus des salariés de passer aux 4x8.

Par ailleurs, le syndicat n'a pas cru au plan de sauvetage de l'usine en 2007. Pourquoi ? Notamment parce que l'investissement proposé pour les deux usines était de 52 millions d'euros sur cinq ans alors que la seule usine polonaise de Debica recevait durant la même période un investissement de 152 millions d'euros.

Depuis, la fermeture du tourisme, voulue par Goodyear depuis 2009, a été empêchée par les actions en justice de la CGT.

Une disparition finalement acceptée

Mais ça, c'était avant. Depuis plus d'un an, le statut de l'activité tourisme a changé dans l'esprit du syndicat. En acceptant de négocier un Plan de départs volontaires (PDV) durant l'été 2012, la CGT a acté la future fermeture du tourisme à Amiens nord.

Ce projet de PDV était très abouti. Il comprenait des primes de départ de 125 000 euros pour les salariés ayant plus de 25 ans d'ancienneté et jusqu'à 176 000 euros pour ceux qui étaient restés 35 ans à Amiens nord. Les salariés du tourisme qui ne voulaient pas partir, et ne trouvaient pas de poste dans l'activité agraire, voyaient 65% de leur salaire versés par Goodyear pendant encore 24 mois. Mais ce PDV n'a jamais été signé, faute d'accord avec Titan.

Qui reste-t-il pour défendre l'activité tourisme? Le candidat François Hollande s'était engagé à faire voter une loi pour limiter les licenciements boursiers. En octobre 2011, sur le parking de Goodyear Amiens nord, (voir notre article) , il avait déclaré vouloir une loi pour faire face «à ces situations où il y a des licenciements dont la seule justification est le rendement en taux boursiers». Le but était alors de sauver l'activité tourisme, seule menacée à ce moment.

Depuis, le candidat est devenu Président de la République. Et la loi sur les licenciements boursiers est devenue la «loi sur la reprise des sites rentables». Son objet n'est plus d'empêcher les licenciements dans des entreprises qui font des profits, comme chez Goodyear, mais de favoriser la reprise des entreprises fermées alors que l'on y fait des profits.

Les pneus agricoles: tout reste à faire

La production de pneus agricoles, c'est une autre affaire. Les conditions d'une reprise semblent réunies depuis le retour du repreneur Maurice Taylor à la table des négociations. Dans les faits, c'est plus compliqué.

C'est l'avocat de Goodyear, Joël Grangé qui le disait lui même deux semaines après l'annonce du «grizzly». «On est beaucoup plus loin d'un accord que l'on ne l'a été auparavant».

Pourquoi? Durant son audition, Joël Grangé est revenu sur les négociations du Plan de départs volontaires (PDV) en 2012.

À cette époque, la CGT et Goodyear étaient parvenus à un accord pour proposer des départs volontaires aux salariés, et fermer l'activité tourisme. Restait à convaincre le repreneur de l'activité agricole, Titan, de s'engager à rester sur le site d'Amiens nord suffisamment longtemps pour rassurer les salariés sur ses intentions.

Pour Joël Grangé, en demandant à Titan de maintenir pendant sept ans 80% de son activité en Europe Moyen-Orient et Afrique à Amiens nord, la CGT a fait échouer les négociations. Dans nos colonnes, l'avocat de Titan faisait la même analyse. En revanche, pour l'avocat de la CGT, Fiodor Rilov, l'offre faite à Taylor était «très souple».

Quoiqu'il en soit, pour la CGT, le refus de Titan d'accéder à leur demande accréditait l'idée que que Titan ne voulait pas rester à Amiens nord. Devant la Commission parlementaire en septembre, Mickaël Wamen (CGT) expliquait que Maurice Taylor lui avait affirmé, lors d'une réunion en préfecture, qu'il n'était pas intéressé par le site d'Amiens nord. Bref, la CGT n'y croyait pas vraiment, sauf à obtenir des engagements concrets. Ce ne fut pas le cas.

Goodyear ne croit pas à un accord rapide

Aujourd'hui, Titan est de retour, prêt à s'engager trois ou quatre ans sur le site d'Amiens nord, contre deux auparavant. Mais en apportant seulement des garanties de maintien de l'emploi, et non des garanties de maintien de l'activité plus contraignantes pour Titan, nous expliquait son avocat Jonas Johanes.

De son côté, Goodyear n'est plus dans une dynamique de négociation, mais de fermeture de l'usine. Désormais le groupe veut une bonne raison d'arrêter sa procédure d'information et de consultation qui a, cette fois-ci, résisté aux attaques en référé de Fiodor Rilov.

Pour négocier un PDV et une reprise du site par Titan, Goodyear veut aussi des garanties. Et elles ne sont aujourd'hui pas réunies, selon Joël Grangé, l'avocat de Goodyear. Selon lui, l'option d'un accord imminent entre Titan et la CGT ne lui paraît pas «présenter la crédibilité suffisante pour qu'on interrompe un processus de consultation». Alors Goodyear continue sur le chemin de la fermeture.

Le 5 novembre dernier devant la Commission parlementaire, Joel Grangé expliquait la situation en ces termes. «D'un côté, j'ai Titan qui dit : "Je veux que le site soit fermé [avant de reprendre l'activité, ndlr ]". Et de l'autre, j'ai la CGT qui dit : "Je ne veux pas la solution de Titan"». Et la députée Pascale Boistard de jouer les conciliatrices : «Non, ce qu'ils veulent c'est discuter du nombre». «Mais c'est justement ça le sujet!», rétorque Joël Grangé. Titan propose aujourd'hui de reprendre 333 employés contre 537, il y a un an. La CGT n'est évidement pas d'accord.

Comme l'a confirmé la tenue du troisième et dernier CCE, Goodyear semble bel et bien résolu à fermer l'usine, quitte à revendre l'activité farm par la suite. Face à cette stratégie, Titan a évoqué dans un entretien accordé au journal Le Monde, l'éventualité de reprendre l'usine après fermeture.

Goodyear et Titan prêts à fermer l'usine avant sa reprise

C'est l'option sur laquelle semblent s'accorder Titan et Goodyear, c'est celle du «pick and choose», comme l'appelle Joël Grangé, ou de «l'usine sans employés» comme l'appelle Goodyear. Dans cette option, Goodyear fermerait les portes de l'usine. Titan la reprendrait ensuite.

«[La CGT] a accepté le pick and choose?», demandait Joël Grangé à la députée Pascale Boistard, le 5 novembre dernier. «Non, ils veulent négocier plus de postes, et ils ne veulent pas que l'entreprise ferme», répondait la socialiste.

Outre l'opposition du syndicat majoritaire, l'option bute contre plusieurs obstacles. Le premier, c'est le transfert automatique des contrats de travail, prévu dans le Code du travail, qui s'applique également lorsqu'une usine a fermé ses portes. Si Titan veut reprendre l'activité agraire de Goodyear une fois ses 537 salariés licenciés, il devra tout de même les réembaucher. Reprendre une partie seulement des employés ? «Le technicien du droit que je suis ne sait pas faire», assure Joël Grangé.

Le deuxième obstacle, c'est que Maurice Taylor n'est aujourd'hui disposé qu'à reprendre 333 employés. De son côté, la CGT ne désespère pas de retarder encore la fermeture de l'usine. Après les procédures en référé, le syndicat s'apprête à attaquer la procédure d'information et de consultation sur le fond, annonçait Fiodor Rilov lors de son audition.

À mesure que les semaines avancent, l'avenir de la production de pneus agricoles d'Amiens nord et de ses salariés est de plus en plus flou. Peut-être qu'Arnaud Montebourg, au centre des discussions entre Titan, Goodyear et la CGT, pourra éclairer les salariés sur leur futur sort, demain soir à 17h30.