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Fonds social européen: crédits épuisés en Picardie

Le 11 September 2013
Enquête commentaires (1)
Par Jean Comte

Mauvaise surprise! Cette année, des dizaines de structures picardes d'insertion sociale risquent de constater un gros trou dans leur budget. En cause: l’épuisement du Fonds Social Européen (FSE).

Ce fond structurel, provisionné par la Commission européenne et distribué localement par les préfectures de régions, co-finance des actions de réinsertion sociale dans toute l'Europe, depuis la signature du Traité de Rome en 1957.

Chaque année, les structures qui désirent en bénéficier, le plus souvent des associations ou des missions locales, présentent un budget prévisionnel avant ou pendant l’action. Si ce budget est validé par la préfecture de région, la somme est programmée, c’est-à-dire réservée mais non versée. Le versement effectif ne se fait qu’une fois l’action achevée.

Mais cette année, les associations picardes ne pourront pas en bénéficier. En cause: la sur-programmation.

Entre 2007 et 2013, la préfecture de Picardie a programmé un peu plus de 130 millions d'euros de FSE destinés à des actions aujourd'hui terminées, en cours ou à venir dans la région. Le problème, c'est que seulement 123 millions d'euros lui étaient alloués sur cette période.

La préfecture le savait depuis 2007. Mais le préfet de région comptait bénéficier en 2013 d'une enveloppe supplémentaire en profitant d’un mécanisme de péréquation mis en place par l'État français.

Depuis 2007, le ministère de l’Emploi redistribuait des fonds FSE non programmés dans les régions peu demandeuses, vers les régions les plus utilisatrices. Le but de ce mécanisme était d’épuiser la totalité des fonds FSE dévolus à la France sur la période 2007-2013.

La préfecture de Picardie n'avait pas touché le fonds de péréquation les années précédentes, à cause, explique-t-elle, de la lenteur du contrôle des actions déjà effectuées. Elle comptait en bénéficier en 2013.

Mais le ministère y a mis fin brutalement cette année. Résultat: la préfecture de Picardie, qui comptait sur ce rééquilibrage pour 2013, a dû revoir rapidement ses dépenses à la baisse, et ne peut plus répondre aux nouvelles demandes des associations.

Le mois dernier, plusieurs des associations picardes qui avaient demandé une subvention cette année ont reçu une lettre du préfet de région. Il les informait que «les crédits (étaient) épuisés» et leur conseillait «de chercher d'autres sources de financement». Problème, pour beaucoup d’entre elles, c’est une source de financement importante qui disparaît.

En réaction, le préfet de région a tout de même demandé une enveloppe complémentaire à la Direction générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP), au ministère du Travail. Sans suite jusqu'à aujourd'hui.

Contacté par Le Télescope, le ministère du Travail ne donne aucune explication, mais assure que la directrice de la DGEFP, Emmanuelle Wargon, prépare actuellement un courrier sur ce sujet.

«Nous n’avons pas d’autres ressources disponibles»

«C’était assez brutal», explique Yannick Anvroin, le directeur de l'association Apremis, une association amiénoise d'insertion sociale. En avril dernier, il était confiant. La structure qu'il dirige avait demandé une subvention de 103 000 euros au FSE pour financer des actions de l’exercice 2013. «Nous avions reçu 100 000 euros l'année précédente et 113 000 en 2011, explique-t-il. Nous pensions donc qu'il n'y aurait aucun souci.»

Mais, le 22 juillet, il reçoit le fameux courrier du préfet. «Je ne m'y attendais pas du tout, continue-t-il. Au contraire, je pensais que la région avait du mal à dépenser tous ses fonds structurels [FSE et FEDER, ndlr].»

Déjà en difficulté financière, l'Apremis n'a aucun moyen de rétablir l'équilibre en 2013. «Si on m'avait dit: "Il y a moins de FSE disponible, vous recevrez 20 000 euros de moins que prévu", j'aurais pu compenser. Mais, pour combler un manque de 103 000 euros, je ne sais pas comment faire...»

Au-delà des questions budgétaires, il craint que les conséquences sociales ne soient élevées: l'Apremis emploie entre 40 et 45 personnes en insertion chaque année, dont certains en aménagement de peine.

«L'effet d'une bombe»

«Ça nous a fait l'effet d'une bombe!», se rappelle Thierry Demoury, président de l'association amiénoise de réinsertion sociale Ménage Service. Il est dans la même situation que Yannick Anvroin: pour 2013, il avait budgété un montant total de FSE à hauteur de 170 000 euros. Cette somme correspond à une partie du salaire des accompagnants sociaux et des encadrants techniques.

«Nous ne sommes pas une énorme structure, et nous n'avons pas d'autres ressources disponibles pour payer ces actions, continue le président. Si nous ne touchons pas ces enveloppes, comment allons-nous faire ?» Comme Yannick Anvroin, il craint surtout l'impact sur le terrain: en 2012, le groupe Ménage Service a employé 235 personnes . «C'est d'autant plus dur que ces autorités nous ont toujours soutenus et aidés dans nos démarches, conclut-il. J'espère donc que l'on pourra reprendre le dialogue avec elles.»

Ménage Service et l'Apremis ne sont pas des cas isolés. Dans l'Oise, le directeur d'un chantier d'insertion tient le même discours: «Je devais recevoir 34 000 euros du FSE, et j'ai appris que je ne les aurai pas. J'ai bien des fonds propres, mais j'ai peur de ne pas avoir suffisamment pour compenser.» Dans l'Aisne, également. «J'attendais plusieurs milliers d'euros, et j'ai appris en juillet que que les crédits étaient épuisés, explique un directeur de chantier axonais. Comme on est déjà à la moitié de l'année, on va avoir des problèmes au second semestre.»

«Le préfet de région a fait des demandes d'aides complémentaires. La situation n'est donc pas si catastrophique», nuance un autre responsable associatif, plus optimiste.