C'était mardi 15 janvier. Peu après les épisodes violents du quartier, les voitures brûlées, peu après les descentes de police qui avaient suivi, les caillassages...
Des adolescents du quartier Victorine-Autier interpellaient Étienne Desjonquères et Françoise Berger, les deux élus d'Amiens, lors de leur visite de proximité. «On n'a rien ici, y'a rien à faire ! À Amiens nord, ils brûlent et on leur donne tout. Alors ici aussi on va brûler.»
Le propos était volontairement provocateur. Les élus ne se sont pas démontés. «Mais ici, il y a l'Étoile du Sud par exemple, vous pouvez y faire des activités». «Alors expliquez-nous, que voudriez-vous d'autre ?»
Lors de cette même visite, d'autres habitants du quartier venaient timidement s'immiscer entre deux problèmes de voirie. Stéphane, Mouss et les autres, résidents de la Salamandre, ont créé leur association. L'Association solidarité quartier sud-est, l'ASQS.
Aux commandes, une petite dizaine d'habitantes et habitants du quartier, excédés de voir la violence, le désœuvrement des plus jeunes et l'isolement des plus âgés. Avec des projets qui se bousculent: du soutien scolaire, de la coiffure africaine, des ateliers d'esthétique et de bien-être, du sport, de l'aide à la personne, de la rénovation, des petits travaux...
La Mairie adhère
En un temps record, les projets de l'ASQS commencent à s'organiser. Depuis trois semaines, tous les lundis, il y a quelque chose à faire, pour les adolescents.
De 17h à 19h, à la Tour du marais et à la Halle des sports, la lumière est allumée, la porte est ouverte. Là-bas, on se propose d'accueillir les jeunes du quartier, de 12 à 25 ans. Pour les écouter, pour qu'ils puissent discuter. Les membres de l'ASQS, bien entendu, sont présents.
Mais d'autres interlocuteurs sont là. C'est le cas de l'association amiénoise Yves-Le-Febvre, par exemple, qui dépêche ses membres sur place pendant deux heures dans le quartier. À leurs côtés, plusieurs animateurs jeunesse de la municipalité d'Amiens.
Anna Grabowicz, chef de projet prévention sécurité au sein de la direction sécurité et prévention des risques urbains, supervise le tout. «Ici c'est un temps d'accueil: on n'oblige personne, mais on veut créer un rendez-vous, que les jeunes sachent que le lundi soir, s'ils le veulent, ils peuvent venir ici».
Anna Grabowicz l'espère : «Via ces rencontres pourront émerger des projets.» Si des projets émergent à la discussion avec les ados, les animateurs de la Ville ou les associatifs chevronnés de l'association Yves-Le-Febvre seront prêts: ils connaissent bien les circuits de financement, les possibilités offertes par les programmes des collectivités pour passer le permis, partir en vacances contre des travaux, etc. «C'est aussi une façon de rappeler que des choses existent déjà pour les jeunes et qu'ils peuvent en profiter.»
En parallèle, le terrain multisports de la Halle de sports est réquisitionné, l'école de futsal congédiée pour le lundi. Ce sont les membres de l'ASQS et les animateurs jeunesse d'Amiens qui mènent des activités sportives, à destination des ados : Badminton, basket ou tennis de table.
Dimanche dernier, dans un bus affrété par la Mairie, les membres de l'ASQS ont emmené des adolescents et des jeunes adultes à la S-Arena de Camon pour suivre la retransmission de la finale de la Coupe d'Afrique des nations (football). Et se dépenser un peu au futsal.
La semaine prochaine, vacances scolaires: des stages d'initiation sportive sont prévus, les après-midi. C'est Youssef Bouchoucha, animateur jeunesse de la mairie qui met au point les derniers détails avec Francis Thorrignac, le directeur de la Halle des sports.
Réunis autour du sport, l'ASQS (en noir) Youssef Bouchoucha (en bleu) et Francis Thorrignac (en rouge).
«Cela leur permet d'avoir une initiation à d'autres sports, et si l'enfant veut de l'approfondissement, on peut l'accompagner vers un club sportif», explique Youssef Bouchoucha, diplômé dans l'encadrement sportif. Bien entendu, tout cela n'est pas nouveau. Plusieurs clubs sportifs se partagent déjà les activités de la salle multisports, et les stages des vacances existaient aussi.
La nouveauté, ce sont les membres de l'ASQS eux-même qui l'apportent. «Ils peuvent faire passer des messages aux jeunes du quartier, avec qui ils ont des contacts», estime l'animateur de la Ville. «Cela faisait bien longtemps qu'il n'y avait pas eu d'asso de jeunes dans le quartier.»
Du côté de l'association Yves-Le-Febvre, le problème était le même: «Sur le quartier de la Salamandre, on a eu des difficultés d'animation et de coordination», explique pudiquement Karine Arnoud, chef de service. «Notre idée c'est d'accompagner l'ASQS, leur donner un coup de pouce. Ils sont en lien direct avec les jeunes, à ce titre, ils ont une place, une importance.»
Après seulement un mois d'existence, l'ASQS organise tous les lundis, un évènement populaire dans le quartier, en utilisant au mieux les bâtiments municipaux.
Les contacts avec la Mairie sont étroits. Au sein de ce qui s'appelle désormais le réseau Salamandre, la Ville et les associations discutent, tâchent de déterminer plus finement le projet de l'ASQS, fignolent de nouveaux projets. L'attente est visiblement très grande, et réciproque.
«Un seul soir par semaine, ce n'est pas assez, que vont-ils faire, les jeunes, les autres soirs de la semaine?» Stéphane Lourdel, le président de l'ASQS, aimerait bien avoir d'autres créneaux à la Halle des sports.
Sans peur de se retrouver débordés, ses camarades et lui sont impatients de développer leurs activités. Ils ne sont que huit, mais espèrent fédérer d'autres bonnes volontés, dès que leurs activités seront mieux connues dans le quartier.
«Je vais discuter avec l'Opac pour ouvrir un bureau dans mon garage», explique encore le président. «Comme ça, on aura un endroit pour recevoir les gens, les mères de famille, les habitants, qu'il y ait une permanence où ils puissent s'exprimer.» Mais, pour le moment, il semble manquer un peu de souffle à leur initiative.
Lundi 11 février, dans les locaux de la Tour du marais, deux animateurs jeunesse, deux médiateurs de la ville, quelques membres des associations Yves-Le-Febvre et de l'ASQS se réchauffent. Ce soir, le rendez-vous tourne à vide. Aucun ado ne s'est présenté au temps d'écoute. «La plupart des ados du quartier sont des jeunes sans histoire, à cette heure-ci ils sont chez eux, à faire leurs devoirs», tranche l'un des éducateurs.
À quelques dizaines de mètres de là, la Halle des sports. Sur le terrain multisports, il y a une petite trentaine de jeunes: ils se relaient au pied de paniers de basket, d'autres jouent tournoi de badminton. Trois des plus jeunes ont entamé une partie de foot avec les ballons de basket, ils sont vite repris à l'ordre: les membres de l'ASQS et Youssef Bouchouma les ont à l'oeil.
Les jeunes sportifs qui s'activent ont douze ans, pour les plus vieux, mais c'est déjà ça. Le président de l'ASQS ne pense pas que cela soit du temps perdu. «On veut s'occuper des ados, ils en ont besoin en priorité. Mais il faut pas laisser tomber les plus jeunes, sinon l'histoire va se répéter.»
À défaut d'avoir des moyens, Stéphane et ses amis ont de la détermination à revendre. Ils ont aussi la confiance de la Mairie. Lors d'une autre réunion entre les services de la ville et les associations de ce "réseau Salamandre", la Ville leur a confié l'organisation de la fête du quartier. Un fête qui n'avait pas eu lieu depuis 2009, et dont les plus de vingt ans gardent tous des souvenirs émus.
Avec l'autorisation de la mairie, j'ai assisté aux soirées du lundi 4 et 11 février, recueillant les propos des différents acteurs à ces moments.
Un autre rendez-vous, avec les membres de l'ASQS qui m'aurait permis de préciser quelques points n'a pas pu avoir lieu.