Vous rappelez-vous de la première fois où vous avez déposé une plainte? Ou juste tenté de déposer? Plusieurs dizaines de minutes d'attente pour les plus chanceux, une heure aux heures de pointe. Dans un hall de commissariat entouré d'inconnus peu engageants.
Il faut dire que les raisons qui vous amènent ne vous mettent pas en conditions adéquates pour une discussion.
Sur place, si vous n'avez pas renoncé, quand le policier ou le gendarme vous reçoit, vous vous apercevez que vous n'avez aucune des pièces nécessaires à la déclaration que vous voulez faire et vos hésitations sur la description de l'objet dérobé impatientent le fonctionnaire.
Désormais, cela peut être du passé. Grâce au portail www.pre-plainte-en-ligne.gouv.fr. Sur ce site, après avoir renseigné des éléments de votre identité – et le site affiche l'adresse IP de votre ordinateur pour décourager les dépôts de plainte fantaisistes – vous pouvez remplir des formulaires circonscrivant l'infraction dont vous, la personne morale ou la personne physique que vous représentez, avez été victime.
Le portail du gouvernement permet de prendre rendez-vous dans le commissariat ou la gendarmerie de sa convenance pour finaliser ce dépôt de plainte: sans signature de la plainte, elle n'est pas juridiquement valable. Sauf que l'on y prend rendez-vous, avec un représentants des forces de l'ordre qui aura, entre les mains, votre dépôt de plainte.
Des rubriques d'aide viennent assister le plaignant dans la caractérisation de l'infraction et le remplissage de cette pré-plainte.
«Supprimer la phase émotive de la plainte»
Côté forces de l'ordre, quelques minutes sont gagnées, en évitant la prise de l'état-civil et autres formalités. Mais une tâche de plus attend policiers et gendarmes. Lorsque la plainte est validée sur le site internet, le commissariat ou la gendarmerie concernée reçoit une alerte. Un agent doit vérifier les différents éléments soumis par la victime.
Puisqu'il évalue la cohérence et l'adéquation des faits avec le type de plainte déposée, l'agent a la possibilité de renvoyer un mail ou de rappeler la victime pour un complément d'information, avant de conclure du rendez-vous nécessaire à la signature de la plainte.
L'intérêt pour le citoyen, c'est le gain de temps, et la possibilité de rassembler les éléments nécessaires à son dépôt de plainte, de chez soi, «sans stress».
C'est ce qu'affirmait hier Jean-François Cordet préfet de la région Picardie, en présentant le dispositif à la presse: «Cela permet de préparer la plainte, et de supprimer la phase émotive». «L'accueil du citoyen est une de nos missions principales et ce dispositif contribue à l'améliorer, estime le préfet. Ce dispositif servira à tout le monde, du moment où cela fonctionne bien».
Au fond, déposer une plainte deviendrait aussi aisé que de commander une pizza.
C'est un peu ce qui préoccupe Didier Martinez, délégué régional Unité-SGP police de Midi-Pyrénées. Le dispositif a été testé, depuis depuis 2011, dans le département de Haute-Garonne, avant d'être étendu progressivement au reste de la France.
Le délégué syndical en tire quelques conclusions: «le public qui a testé le dispositif est très satisfait», rapporte-t-il. «Mais si l'engouement arrive, on a peur que les effectifs ne soient pas à la hauteur.» Selon le policier toulousain, même s'il y a effectivement un gain de temps du côté des agents pour la prise de la plainte, la pré-plainte en ligne pourrait avoir un effet secondaire: l'augmentation du nombre de plaintes.
«Aujourd'hui, on sait bien qu'il y a beaucoup de plaintes qui ne sont pas déposées. Si le fait est mineur, les gens se découragent, se disent qu'on ne retrouvera jamais l'auteur de l'infraction.» Une situation que déplore Didier Martinez. «Les assurances exigent souvent des plaintes détaillées pour indemniser après des cambriolages, et parfois c'est utile pour retrouver les propriétaires d'objets dans des affaires de recel».
Avec cette procédure en ligne, professionnels et ministère de l'Intérieur estiment, de concert, que les citoyens auront plus de facilité à aller au bout d'un dépôt de plainte. Et les statistiques de la délinquance devraient, mécaniquement, s'en ressentir.
Trop méconnu, encore insensible
Mais pour le moment, difficile d'avoir du recul sur le dispositif. S'il a été expérimenté en Charente-Maritime et dans les Yvelines dès 2008, les données sont encore maigres pour évaluer une hausse des statistiques de la délinquance.
Selon le délégué Unité-SGP police, les services du département de la Haute-Garonne, où le dispositif fonctionne depuis décembre 2011, n'auraient enregistré que 5000 plaintes pré-déposées en ligne, sur un total de 100000. Soit cinq internautes pour cent plaignants.
«Pour le moment ce n'est pas très probant en terme de connexions», estime Didier Martinez. Mais la situation évolue rapidement: «Sur janvier 2013, on a enregistré 800 pré-plaintes. Quand on compare aux 5000 de l'année 2012, on constate une nette augmentation».
Un dispositif limité aux atteintes aux biens
Si ce dispositif semble contenter les autorités et les citoyens, il n'est pourtant pas dénué de failles. Ainsi il se limite, globalement, aux atteintes aux biens dont l'auteur est inconnu.
«Pour les atteintes aux personnes et les situations d'urgence, cela ne remplace pas l'appel au 17, rappelle le préfet de Picardie. De même, sur un cambriolage il peut être intéressant pour les agents d'intervenir immédiatement pour relever les traces des cambrioleurs.»
«On considère que toutes les atteintes aux personnes sont une situation d'urgence» explique Pascal Garibian, porte-parole de la Direction générale de la Police nationale. De même, si l'auteur des atteintes aux biens est connu du plaignant, l'appel au 17 est incontournable. «Pour les nécessités de l'enquête il faut une réactivité immédiate» indique encore le porte-parole de la Police. D'après lui, aucune chance que ce dispositif ne soit étendu à ces autres circonstances.
Ce qui laisse une grande partie des infractions hors du champ d'action de la pré-plainte en ligne. Enfin, toute déposition qui n'est pas signée dans les trente jours est caduque. «On ne peut pas envisager que la justice démarre des procédures sans vérifier l'identité du plaignant.»
Le numérique n'évitera pas la case commissariat.
Lundi 4 mars, le dispositif était présenté à la presse par le préfet de Picardie, le directeur départemental de la sécurité publique Dominique Nectoux, et le colonel Erwann Ropars, commandant le groupe départemental de gendarmerie.
J'ai pu joindre Didier Martinez, délégué Unité-SGP Police Midi-pyrénées par téléphone dans l'après-midi.
Mise à jour, le 5 mars 2013 à 17h30: les propos de Pascal Garibian, porte-parole de la DGPN, joint par téléphone ce jour.