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Élections étudiantes : cinq stratégies pour faire voter

Le 13 November 2012

Près de 90% d'abstention, c'est beaucoup. C'est trop. Mais c'est pourtant une habitude des scrutins étudiants. En 2010, lors du dernier vote pour élire les sept représentants au conseil d'administration du Crous d'Amiens-Picardie, seuls 13,3% des étudiants s'étaient prononcés.

Pour informer les étudiants, le Centre régional des oeuvres universitaires et scolaires (Crous) mène, comme à son habitude, une campagne d'affichage. Conscient de l'importance des réseaux sociaux, il utilise également son profil Facebook pour propager son slogan : «Voter, ça prend 2 minutes et ça compte pour 2 ans». Sera-ce suffisant ? Probablement pas.

La lutte contre l'abstention concerne en premier lieu les étudiants eux-mêmes. Et parmi ceux-là, d'abord les étudiants qui briguent les sièges du conseil d'administration du Crous.

Cinq listes vont s'affronter. Chacune d'elles est soutenue par une ou plusieurs organisations étudiantes. Quelle stratégies adoptent-elles pour inciter un maximum d'étudiant à voter (pour elles) ?

La Fédération des associations étudiantes picardes (Faep)

C'est l'organisation étudiante qui semble la plus mobilisée, si l'on en croit les murs des facs d'Amiens. C'est simple ; au moment de la réalisation de ce reportage, seules les affiches de la Faep apparaissaient sur les parois des bâtiments du Campus et des pôles Scientifique et Cathédrale. «Ça fait un mois que l'on fait de l'affichage dans les facs, explique le président de la Faep, Léo Lantez, 23 ans, inscrit en master de droit. On a aussi commencé à intervenir dans les amphis pour parler des élections.»

Lorsqu'il parle des élections du Crous à d'autres étudiants, Léo Lantez se trouve souvent confronté à un mur d'incompréhension. «On me dit: 'Les élections, ça ne me concerne pas, je ne suis pas boursier'. Pour beaucoup de monde Crous = bourses, déplore-t-il. Il y a un vrai manque d'information.» Pour rappel, le Crous ne gère pas que les bourses mais aussi les logements sociaux étudiants, la restauration universitaire, différentes aides sociales plus ponctuelles que les bourses, et promeut les initiatives culturelles.



Léo Lantez, président de la Faep.

Pour faire voter les étudiants, la Faep compte sur son réseau d'associations. Une bonne quinzaine au total, réparties dans toutes les facs (pharmacie, sciences, histoire, etc.). Ces associations proposent toute l'année des services aux étudiants et organisent des soirées (zinzins). Mais pour Léo Lantez, si les soirées peuvent permettre une meilleure intégration sociale des étudiants, «la Faep compte avant tout sur son programme pour convaincre». Un programme qui se décline en plusieurs axes: le logement, la restauration, la culture et les aides sociales. «Dans deux ans, on rendra des comptes», assure-t-il.

L'objectif de la Faep est de remporter le 20 novembre trois sièges sur sept, mais «quatre ça serait parfait». À l'heure actuelle, la Faep compte deux élus au Crous d'Amiens-Picardie.

Longtemps, la Faep s'est présentée comme «apolitique». Désormais, elle explique être «apartisane». «On fait de la politique quand on défend notre programme dans les conseils, quand on défend par exemple l'AGI [Aide globale individualisée, récente proposition de la Faep pour refondre le système des bourses, ndlr]», indique Léo Lantez. Mais pas question pour l'organisation étudiante de se placer sur l'échiquier politique : «Ça dérange beaucoup de monde. L'Unef [de gauche, ndlr] dit qu'on est de droite, l'Uni [de droite, ndlr] dit qu'on est de gauche

L'Union nationale des étudiants de France (Unef) avec l'association Africapac.

Lors du précédent scrutin en 2010, l'Unef, syndicat étudiant classé à gauche, avait emporté trois sièges sur sept. Cette année, l'objectif est le même : «On veut maintenir nos trois élus», indique Grégoire Moquet, président de l'Unef-Amiens, 21 ans, inscrit en troisième année de licence d'histoire.

«Le niveau d'abstention est souvent catastrophique, reconnaît le militant. Les étudiants ont du mal à voir les enjeux.» Des enjeux qui selon lui sont nationaux. Partout en France, en effet, entre le 19 et le 30 novembre, les étudiants sont appelés à voter pour désigner leurs représentants régionaux, eux mêmes appelés à voter pour leurs représentants nationaux. «Si l'Unef gagne les élections du Crous, on pourra arriver devant le gouvernement avec le rapport de force nécessaire pour demander l'allocation d'autonomie [revendication phare du syndicat étudiant qui vise à modifier en profondeur le système d'aides sociales, ndlr]. Avec cette allocation, les étudiants comme moi ne seraient pas obligés de taffer.» Grégoire Moquet, en plus de ses études, cumule actuellement deux emplois, l'un à la Maison de la Culture, l'autre au lycée de la Hotoie.



Grégoire Moquet, président de l'Unef.

Cette année, l'Unef-Amiens s'est alliée à l'association d'étudiants étrangers Africapac (Afrique-Caraïbes-Pacifique). En 2010, ces deux organisations s'étaient présentées séparément. Africapac n'avait pas obtenu d'élu avec seulement 5,3% des suffrages exprimés. «Ils sont très présents en résidence universitaires», précise le président de l'Unef-Amiens. Si les deux organisations font cause commune cette année, c'est qu'elles ont pu s'entendre sur la composition de la liste (composée pour moitié de membres de l'Unef et pour moitié de membres d'Africapac) mais aussi sur le programme défendu: «Nous voulons la régularisation des étudiants étrangers. Si l'étudiant est inscrit en licence, il doit pouvoir obtenir une carte de séjour de trois ans et non pas passer son temps à se galérer à la préfecture.»

Pour lutter contre l'abstention et faire connaître son programme, l'Unef a d'ores et déjà distribué plusieurs tracts rappelant les enjeux des élections au Crous.

L'Union nationale inter-universitaire (Uni).

«Nous n'avons pas de local», se justifie un militant. Car c'est au siège de la fédération de l'UMP que l'Uni donne rendez-vous pour l'interview. Ce n'est pas une totale surprise, depuis toujours l'Uni (ou Met, pour Mouvement des étudiants) s'affirme clairement de droite, a fortiori proche l'UMP.

À Amiens, l'organisation étudiante n'est pas au mieux. Elle est même sous perfusion. Pour construire sa liste de quatorze étudiants candidats au conseil d'administration du Crous, l'antenne locale de l'Uni a dû avoir recours aux services de son siège à Paris. «Ils nous ont donné une série de noms à contacter pour faire la liste», détaille en toute franchise Thomas Masson, militant chez les Jeunes populaires et à l'Uni. Ces noms d'étudiants ont été rassemblés suite à la signature de pétitions mises en lignes sur internet par l'Uni. Pour signer, par exemple, la pétition contre le droit de vote aux étrangers sur le site de l'Uni, il est obligatoire d'indiquer son code postal. De quoi monter des listes un peu partout en France.

Pour mobiliser son électorat, l'Uni compte sur les réseaux sociaux et le bouche-à-oreille. La diffusion de tracts, quant à elle, est prévue mais n'a pas encore commencé, selon Paul Lesueur, 21 ans, étudiant en deuxième année de droit, tête de liste pour les élections au Crous. Les moyens humains de l'organisation sont assez faibles localement, mais les militants pourront compter sur des soutiens le 20 novembre : «Beaucoup vont venir de Paris et de Lille», explique Morgan Boucher, élu Uni au Conseil des études et de la vie universitaire (Cevu) de l'UPJV. Il est le seul élu de l'organisation pour le moment. «Il y a quelques années, l'Uni était assez forte à Amiens [de 2006 à 2009, ndlr] mais ensuite ça a chuté. Aujourd'hui on essaye de se reconstruire tout doucement.» Obtenir un élu au Crous serait déjà une petite victoire.



Des militants avec l'affiche du Met, l'autre nom de l'Uni.

Question revendications, l'Uni souhaite elle aussi revoir le système des bourses, développer les bourses au mérite et les prêts étudiants à 0%. Sachant que la bataille sera assez difficile à Amiens, les militants de l'Uni vont particulièrement se mobiliser sur les sites dits délocalisés : notamment à Saint-Quentin, Laon (Aisne) et à Creil (Oise). Car le 20 novembre ce sont tous les étudiants de Picardie qui votent, soit plus de 40 000 personnes.

L'Association générale des étudiants de Picardie (Agep).

Sophie Louey, 24 ans, est à la tête d'une liste surprenante où se mêlent des gens politisés, «plutôt à l'extrême gauche, des trotskistes, des lambertistes», des indépendants «comme moi» et une association d'étudiants chinois - l'Union des chercheurs et étudiants chinois en France (Ucecf).



Sophie Louey, indépendante.

«En sciences et en économie, la communauté asiatique a un fort réseau», indique Sophie Louey. D'où un bon potentiel de voix. Pourquoi la liste des étudiants chinois s'est-elle alliée à l'Agep et aux indépendants ? «Quand ils arrivent en France, ils ont tendance à s'insérer dans le tissu associatif, expose simplement Sophie Douey. Ils avaient déjà participé aux élections universitaires avec l'Agep l'an dernier. Par ailleurs, dans les conseils on voit très peu d'étudiants étrangers alors que c'est une composante importante de l'UPJV.»

Les semestres effectués à l'étranger par les étudiants picards constituent, selon l'étudiante, une autre raison de l'abstention. «Pour voter par procuration, il faut bien sûr la procuration originale mais aussi la carte d'étudiant originale ou alors la carte d'identité originale ainsi que le certificat de scolarité.» Un dispositif enclin à éviter les fraudes mais peut-être trop strict.

En 2010, l'Agep n'avait fait que 3,2% des voix. L'objectif est évidemment de faire mieux : «On va essayer de faire un élu, même si deux ça serait mieux pour être une force de proposition». Des propositions qui vont dans le sens d'une opposition «aux réformes de casse du service public du Crous, de dénaturation de sa mission sociale», explique le tract de l'Agep-Ucecf.

«On a tendance a oublier les antennes délocalisées de l'université, reconnaît cette étudiante en doctorat de sociologie. La plupart du temps, nous faisons campagne sur Amiens qui est le coeur politique de la région.» D'où une grande abstention.

La liste conduite par la doctorante n'a pas encore touché aux murs des facs. «Les affiches n'attirent plus vraiment l'oeil maintenant. À l'inverse beaucoup de choses se passent sur les réseaux sociaux. C'est un moyen de faire augmenter le taux de participation.»

Pic'Asso – Promotion et défense des étudiants (PDE)

«Crous me, I'm an engineer.» Voilà le slogan de la liste Pic'Asso, basé sur un détournement de la phrase «Trust me, I'm an engineer» (Crois-moi, je suis ingénieur). On l'aura compris cette liste s'adresse aux ingénieurs en priorité. Traditionnellement en Picardie, cette organisation fait surtout campagne là où elle est très forte : à l'Esiee à Amiens, à l'Institut LaSalle à Beauvais et à l'Université de technologie de Compiègne. Quelques point forts seulement mais une grande réussite! Les ingénieurs votent souvent en masse pour cette liste. En 2010, elle est arrivée deuxième, raflant ainsi deux sièges au Crous d'Amiens-Picardie.

Comme son nom ne l'indique pas, la liste Pic'Asso dépend directement d'une organisation étudiante reconnue nationalement : Promotion défense des étudiants (PDE). Une organisation qui se dit «apolitique» mais qui participe à toutes les élections étudiantes.

Dans l'œil du Télescope

Je me suis entretenu avec les représentants étudiants en fin de semaine dernière. Malgré mes nombreuses demandes, je n'ai pas pu m'entretenir avec la responsable de Pic'Asso (PDE). En début de semaine prochaine, nous reviendrons sur ces élections étudiantes en nous intéressant plus particulièrement à la refonte du système des bourses, prônée par plusieurs organisations.