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École: des nouveaux rythmes et beaucoup de blues

Le 21 January 2013
Enquête commentaires

Stéphane Magnier, du syndicat Snuipp-FSU, majoritaire dans le premier degré.

«Il y a 8 mois, Vincent Peillon [le ministre de l'Éducation nationale, ndlr] avait tous les instit' de son côté. Maintenant, ils sont contre lui», regrette Stéphane Magnier, enseignant en maternelle a Bray-sur-Somme et responsable au syndicat Snuipp-FSU. Pour lui, le gouvernement a un «désastreux problème de méthode». L'objet de la colère ? La réforme des rythmes scolaires.

Elle était pourtant particulièrement attendue, cette réforme. Car en 2008, sous le précédent gouvernement, les écoles maternelles et primaires avait dû adopter la semaine de quatre jours. Les enfants ne devaient alors plus venir à l'école que les lundi, mardi, jeudi et vendredi. Et de l'avis général, ce n'était pas très bon pour eux.

Même l'Académie nationale de médecine s'était fendue d'un rapport en 2010 indiquant le «rôle néfaste» de la semaine de quatre jours «sur la vigilance et les performances de l'enfant». Bref, il fallait revoir la copie. Chose promise par le candidat François Hollande dans son engagement n°38. Un engagement tenu.

Mercredi, le projet de décret visant la modification des temps scolaires sera examiné au Conseil des ministres. Qu'est-ce qui va changer ? Pas le nombre hebdomadaire d'heures de cours, on en reste à 24 heures. Mais celles-ci vont désormais s'étaler sur neuf demi-journées, contre huit actuellement. Conséquence: les enfants vont donc venir à l'école le mercredi matin ou, dans certains cas et par dérogation, le samedi matin. Un étalement qui devra permettre d'alléger les autres jours de la semaine. Une journée ne pourra désormais plus compter que 5h30 de cours maximum. Et la pause méridienne ne pourra être inférieure à 1h30.

Une application en 2013 ou 2014

Ce sont les maires qui vont devoir choisir la date à laquelle la réforme entrera en vigueur dans leur commune. Ils n'ont que deux possibilités: soit en septembre 2013, soit en septembre 2014. Avant le 1er mars, chaque maire devra annoncer sa décision. Rappelons que les écoles maternelles et primaires sont placées sous la responsabilité des communes. À la différence des collèges et les lycées qui dépendent respectivement des départements et des régions.

À Glisy, le maire Jean Noyelle ne demandera pas de dérogation pour le samedi : «On penche pour le mercredi ici. Les parents ont souvent revendiqué d'être libres le samedi.» À la FCPE (parents d'élèves) de la Somme, on note tout de même que le samedi matin a l'avantage de permettre aux parents de rencontrer les enseignants.

Quoi qu'il en soit, à Glisy, il est encore trop tôt pour savoir si l'école appliquera la réforme dès la rentrée prochaine. «On est beaucoup dans l'expectative, indique-t-il, on réfléchit à comment s'organiser.» Car une demi-journée d'école supplémentaire, cela veut dire une demi-journée d'encadrement et d'ouverture de cantine supplémentaire. Soit un surcoût non encore évalué par la commune.

Une compensation financière exceptionnelle de 50€ par élève est prévue pour les communes qui accepteront d'appliquer la réforme dès septembre 2013. «Ils parlent de nous aider la première année mais pour après, rien n'est prévu», s'inquiète le maire.

«Le compte n'y est pas»

Même crainte à Dreuil-les-Amiens, qui accueille également dans son école les enfants d'Argœuves et de Saveuse: 160 élèves au total. «Il va falloir qu'on embauche», explique Michel Thiéfaine, le maire de Dreuil. Et il ne sait pas avec quel argent. «On n'a pas les moyens ! On sort de la construction d'une cantine et d'une bibliothèque, on a fait un emprunt de 300 000 euros!» Pour le maire, même avec la compensation financière prévue par l'État, «le compte n'y est pas». Si bien que la commune n'ouvrira pas de cantine pour la demi-journée supplémentaire. Une demi-journée qui sera à Dreuil le mercredi ou le samedi, rien n'est encore tranché.

Mais la question budgétaire n'est pas la seule source d'inquiétude pour les communes. Car la réforme prévoit des temps «périscolaires» dans la semaine, sans en définir clairement les contours. Ces «temps périscolaires» doivent être l'occasion d'activités culturelles, sportives et artistiques. Et là, beaucoup de maires disent être dans le flou. Est-ce un temps pris en charge par les enseignants ou par les communes ?

Si ces activités sont organisées par les communes, le risque est de voir augmenter les inégalités entre les territoires. Car les grandes villes possèdent un tissu associatif dense et des lieux de sorties facilement accessibles (musées, piscines, etc.) dont sont bien souvent dépourvues les petites communes. «On craint que ce temps dégagé ne se transforme en temps de garderie dans les communes rurales sans structuration associative», explique Philippe Decagny, du syndicat Unsa. Même son de cloche chez Stéphane Magnier, du Snuipp-FSU : «À Amiens, c'est facile d'emmener les gamins au musée. Mais quand on est à Marcelcave, dès que l'on veut faire quelque chose, il faut payer un car pour se déplacer. Et ça coûte cher. Si, faute de budget, on ne fait que de la garderie, l'intérêt est nul.»

La fin des heures sup' à Amiens ?

À Amiens, une réunion doit avoir lieu demain en présence du maire Gilles Demailly et des représentants des enseignants. Amiens devrait adopter la réforme dès la rentrée 2013. Reste à savoir quand et comment vont s'organiser les activités périscolaires. Si la Mairie fait savoir que «toutes les pistes restent ouvertes», il semble que l'organisation de ces activités en début d'après-midi soit une piste privilégiée. Dans les écoles amiénoises, il y aurait donc cours le matin, puis une pause déjeuner suivie d'activités périscolaires. Les cours ne reprendraient qu'à 15 heures pour finir à 17heures.

Une perspective qui est loin de ravir le Snuipp. Car jusqu'alors à Amiens, les enseignants faisaient du soutien scolaire à partir de 16h30, après les cours. «Pour ce travail, les profs sont payés en heures supplémentaires par la Ville», explique Stéphane Magnier. Avec une journée d'école qui finit plus tard pour laisser la place aux activités périscolaires, les heures supplémentaires des profs vont disparaître et, avec elles, une partie de leur pouvoir d'achat. «Il n'est pas improbable que la Ville veuille récupérer cet argent pour payer les animateurs qui feront les activités périscolaires», glisse le syndicaliste.

Le lobby du tourisme aurait gagné

D'une manière générale, les enseignants ont l'impression que la réforme manque d'ambition. «On reste sur un goût amer, indique Philippe Decagny. La montagne accouche d'une souris.» Pour lui, le temps dégagé pour les activités périscolaires n'est pas assez important. «En gros, cela va représenter au mieux 45 minutes par jour. À l'Unsa, on pense qu'il aurait fallu entre 1 heure et 1h30.» Par ailleurs, l'objectif d'atteindre le rythme «7-2», c'est-à-dire sept semaines de cours pour deux semaines de vacances, un rythme préconisé par les scientifiques, ne sera pas rempli. Car pour se faire, il aurait fallu toucher au temps scolaire annuel. En clair: rogner sur les vacances d'été et revoir le système de zones ABC.

«Les deux mois de vacances d'été étaient destinés aux travaux des champs à l'origine», explique Stéphane Magnier. Aujourd'hui, il s'agirait plutôt de favoriser le lobby du tourisme: «L'École n'est pas organisée pour les enfants», accuse-t-il. «Le zonage n'est pas intéressant pour l'élève, indique de son côté Philippe Decagny. Il faut savoir ce qui est au centre de nos intérêts: l'économie ou l'enfant ?»

Chez les parents d'élèves, Ghislaine Lefebvre (FCPE 80) trouve aussi que la réforme est «trop timide, trop hésitante». Néanmoins, la FCPE a envoyé un courrier à tous les maires de la Somme leur demandant d'appliquer au plus vite la réforme. Histoire de passer à autre chose. Elle en a profité pour fustiger «les débats comptables sur les rythmes scolaires» qui «bloquent l'avancée de la loi d'orientation», la future grande loi sur l'École.

«Du corporatisme»

En clair, la FCPE accuse notamment les profs de profiter des débats pour demander une revalorisation salariale: «Moi, quand on me change mes horaires, je ne demande pas de hausse de salaire. C'est un peu du corporatisme, ça freine et ça pollue la discussion», accuse Ghislaine Lefebvre. Notons que, d'après les chiffres de l'OCDE, les enseignants français sont moins bien payés que leurs homologues des pays riches.

La très complexe modification des rythmes scolaires a un impact direct sur l'ensemble de la société. C'est la raison pour laquelle bon nombre de syndicats enseignants souhaitaient «prendre le temps de la discussion, mettre en place des expérimentations et en tirer tous les bilans», comme l'explique Philippe Decagny. Une méthode qui aurait sans doute permis d'éviter les blocages actuels.

Dans l'œil du Télescope

J'ai rencontré Stéphane Magnier (Snuipp-FSU) et Ghislaine Lefebvre (FCPE) en milieu de semaine dernière. Tous les autres témoignages figurant dans cet article proviennent d'interviews téléphoniques, réalisées elles aussi au cours de la semaine passée.