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Douze méthaniseurs prêts à sortir de terre

Le 21 March 2013

Le projet «1000 vaches» ne consiste pas seulement à construire une ferme laitière géante, mais aussi à alimenter une unité de méthanisation de taille quasi-industrielle.

Le principe de la méthanisation? Stocker des produits susceptibles de fermenter (ordures ménagères, bouses des vaches, tontes de pelouse, déchets d'industrie agro-alimentaire...) dans un milieu qui ressemble celui d'une panse de vache. Le résultat? Du biogaz. Ce que la vache pète ou rote à longueur de journée, les agriculteurs le récupèrent et le revendent. 

Et c'est nouveau. Le premier méthaniseur français alimenté par des bouses de vaches date de 2003 et a été construit dans l'Est de la France. Il n'en existe toujours pas dans la Somme. Le méthaniseur financé par Michel Ramery digérera chaque année bien plus de nourriture qu'une vache dans toute sa vie: 47 000 tonnes de déchets par an.

 


Digesteur d'une petite unité de méthanisation agricole dans le Nord

La méthanisation existe déjà dans la Somme, mais elle n'utilise pas de produits agricoles. On compte deux usines de méthanisation dans le département, dont un site important à Amiens Nord, deux fois plus important que celui des 1000 vaches.

Créé en 1988 sous la municipalité Lamps, cette usine gérée aujourd'hui par la société Idex est le tout premier site de méthanisation industrielle en France. Aujourd'hui encore, il chauffe les habitations d'une partie d'Amiens nord et produit de la vapeur pour l'usine Ajinomoto Lysine.

Le méthaniseur des «1000 vaches» aura beaucoup fait parler de lui, mais ne sera pas le premier méthaniseur agricole du département. Trois agriculteurs du Vimeu devraient commencer à produire du biogaz dès la fin de l'année. Mais leur installation est beaucoup plus modeste. Ils ne traiteront que 10 000 tonnes de matière par an.

Trois gros projets comme celui de Ramery sont prévus dans la Somme

Le projet Ramery sera certainement le plus gros méthaniseur « agricole » du département. Mais pas de beaucoup. Deux unités de taille similaire (40 000 tonnes par an) sont dans les cartons de la Chambre d'agriculture, nous a expliqué Aurélien Deceuninck, ingénieur-conseil à la Chambre d'agriculture. Les deux projets devraient voir le jour dans le Santerre et digérer les rebuts des industries agroalimentaires du secteur.

Par ailleurs une unité de 36 000 tonnes portée par une coopérative céréalière serait en préparation à Amiens. Les autres projets seront plus petits. Parfois 2500 tonnes seulement pour la plus modeste, conçue pour une seule exploitation agricole.

Pour Aurélien Deceuninck, qui a suivi tous ces projets (sauf celui des 1000 vaches), le département devrait compter trois projets de la taille de celui de Michel Ramery (environs 40 000 tonnes). Mais pas plus, faute de place. «Les gros gisements (les industries agro-alimentaires, ndlr) sont presque épuisés. Il reste uniquement de la place pour des projets territoriaux (portés par des mairies, ndlr) ou strictement agricoles.» En tout, une douzaine de méthaniseurs «agricoles ou pseudo agricoles» pourrait voir le jour dans le département, dans les cinq ans à venir.



Aurélien Deceuninck, ingénieur-conseil à la Chambre d'agriculture

On parle de méthaniseur «agricole» lorsque le projet est porté par des agriculteurs. La limite est souvent floue lorsque des industriels prennent des participations au capital, ou lorsqu'une partie des matières provient de l'agroalimentaire, ce qu'Aurélien Deceuninck appelle des matières «pseudo agricoles». Lorsque plus de 60% des matières proviennent de l'élevage, l'État accorde une prime. Peu importe la taille du projet, il considère qu'il s'agit de méthanisation «agricole».

Le ministre de l'agriculture veut 1000 unités en France

Le développement de cette filière est très récent. Les projets se multiplient depuis les augmentations des tarifs de rachat du biogaz, en novembre 2011 et de l'électricité issue du biogaz, en mai de la même année.

Pour retrouver le premier méthaniseur agricole français il faut remonter en 2003. «Les premiers projets ont émergé dans l'Est de la France, aux frontières de l'Allemagne et de la Belgique», explique Laurent Paquin, le «monsieur méthanisation» de la FNSEA, le syndicat agricole majoritaire. «Puis cela s'est développé plus vite dans les régions d'élevage et surtout dans le nord de la France».



Moteur de cogénération 122kWh, qui produit de l'électricité à partir de biogaz

Avec une petite centaine d'unités en fonctionnement, la France est encore loin des 7000 unités allemandes. À cause des prix de rachat jusqu'ici trop faibles, mais aussi des coûts de construction environs deux fois plus élevés qu'en Allemagne. «En France, on est pas sur un marché mâture», explique le conseiller de la Chambre. «Quand vous construisez, ça coûte cher. Il faut importer les technologies d'Allemagne et les bureaux d'étude spécialisés sont encore jeunes. On commence à peine à voir baisser les prix.»

Deux millions d'investissements à trois

Depuis deux ans, beaucoup de projets germent dans les tetes des agriculteurs. Et le gouvernement souhaite accélérer le rythme. Le 11 mars dernier, le ministre de l'agriculture, Stéphane Le Foll, a fixé un objectif pour la France de 1000 unités (sans préciser de date à laquelle l'atteindre). Il devrait annoncer un plan de développement national de la filière à la fin du mois.

«Environ 200 projets sont dans les tuyaux en France, peut-être plus, estime Laurent Paquin. On ne manque pas de bonnes volontés, c'est plutôt sur l'aspect financier que ça coince souvent. Cela dépend de l'aide qu'apportent les collectivités. Avec un total de 20 à 30% de subventions, ça passe. En dessous, c'est difficile.»


Dans le Vimeu, Sébastien Théron fait partie des trois agriculteurs qui se sont lancé dans la méthanisation agricole. Son projet devrait sortir de terre avant la fin de l'année. «On attend la réponse de l'organisme de financement Oséo». Ils sont trois éleveurs à s'être lancés le business du biogaz, et devront investir 2 millions d'euros pour construire un méthaniseur d'une capacité de 10 000 tonnes de déchets par an, «quatre fois moins grand que les 1000 vaches».

«On espère gagner 10000 euros par an et par associé pendant le remboursement qui doit durer douze ans. La treizième année, ça sera beaucoup mieux. On espère 40000 euros par an et par associé», explique Sébastien Théron.

La méthanisation constituera une nouvelle source de revenus pour certains agriculteurs, mais elle ne sauvera pas les éleveurs en difficulté, au contraire. «Si vous êtes un agriculteur en difficulté, ce n'est pas ça qui va vous aider. Ça va plutôt vous enfoncer», explique sans ambages l'ingénieur-conseil de la Chambre. «Sur toute la durée du prêt, les agriculteurs gagnent peu. La méthanisation permettra de pérenniser les bons élevages.» 

«Si le ministre croit régler tous les problèmes de l'élevage avec la méthanisation, il se met le doigt dans l’œil», étaye Laurent Paquin.

«10 000 tonnes, c'est un temps-plein»

Dans le Vimeu, l'unité de méthanisation des trois agriculteurs ingérera les bouses de 11 élevages du coin, les tontes de pelouse de la communauté de commune du Vimeu industriel, les rebuts végétaux de la coopérative ou des endiviers du coin.

Et elle produira de l'électricité revendue à ERDF et de la chaleur pour la piscine de la communauté de commune. «Si ce dossier ne passe pas auprès des banques, il n'y aura pas de méthanisation en France, plaisante Aurélien Deceuninck. Il n'y a pas plus exemplaire. On ne fait pas du bricolo-bricolette. C'est fait dans les règles de l'art».

Les «bricolo-bricolette», c'est un peu monsieur Sockeel par exemple. Cet éleveur laitier de Somain dans le Nord-Pas de Calais s'est lancé en 2009 dans la construction d'une unité de méthanisation de 122 kWh. Mais il n'a fait appel à aucun bureau d'étude. Avec son fils, il a tout imaginé lui-même. Coût de l'opération, au rabais: 450 000 euros. Après deux ans de travaux, il est le premier agriculteur de la région à produire du biogaz.

Mais tout ne se passe pas comme prévu. Durant le démarrage de l'unité, la bâche du digesteur se déchire et laisse s'échapper du méthane à l'air libre. Résultat: les riverains s'énèrvent, et le maire de la commune n'est plus d'accord pour que l'éleveur chauffe la piscine municipale. C'est ce genre d'aventures que la Chambre d'agriculture de la Somme veut absolument éviter.

Malgré tout, monsieur Sockeel s'en sort très bien financièrement. En revendant son électricité à ERDF, il s'assure un revenu de 12 000 euros par mois, dont il faut retirer les annuités, assure-t-il.

«Chaque projet est très différent, rappelle Aurélien Deceuninck Avec une même puissance, vous pouvez avec des revenus très variables».

Ce qui est sur, c'est que la méthanisation peut créer un peu d'emploi dans la Somme. De l'emploi non délocalisable. «10 000 tonnes, c'est un temps-plein sur les projets que l'on suit»assure Aurélien Deceuninck.

La méthanisation pourrait aussi motiver des enfants d'agriculteurs à rester sur la ferme. Une opportunité alors que beaucoup se désintéressent de l'élevage dans la Somme. «En général, ce sont les fils qui gèrent les projets de méthanisation. Le projet du Vimeu, ce sont les deux fils d'un des agriculteurs qui travailleront sur le projet, alors qu'au départ ils n'étaient pas intéressés pour rester sur la ferme».

Dans l'œil du Télescope

J'ai rencontré Aurélien Deceuninck ce jeudi à la chambre d'agriculture. Il m'avait auparavant communiqué les coordonnées de Sébastien Théron, que j'ai interviewé par téléphone.
Je me suis entretenu jeudi avec Laurent Paquin de la FNSEA, par téléphone. Contacté en milieu de semaine, Gérard Durand de la Confédération paysanne n'a pas pu me rappeler dans les temps.
Quant à monsieur Sockeel, je l'ai rencontré en 2012, lorsque j'étais journaliste agricole dans le Nord-Pas de Calais. Je l'ai recontacté par téléphone mercredi.