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Discrimination: les cheminots à la rescousse

Le 23 October 2013
Reportage commentaires
Par Rémi Sanchez

À deux, ils représentent la moitié des élus du personnel de l'Établissement public de sécurité ferroviaire (EPSF). Mais depuis quelques mois, ces élus CGT se sentaient bien seuls.

L'EPSF est un établissement public, créé en 2006 en prévision de l'ouverture du rail à la concurrence. Son rôle, c'est veiller que la SNCF et les transporteurs privés qui utilisent le rail respectent les réglementations et normes pour la circulation sur les voies ferrées françaises.

Ce «gendarme» des normes ferroviaires examine également les matériels roulants pour leur fournir des homologations et des immatriculations. Et son siège se situe dans la Somme, à Amiens dans le quartier Gare-La Vallée.

Vérifier tous les dossiers de demande d'immatriculation, c'est justement le travail de Laurence Levert depuis plusieurs années. Avec son collègue Frédéric Ledent, ils se sont présentés sous la bannière CGT aux élections de représentation du personnel, au mois de février dernier. Et ils ont obtenu deux postes de DUP (Délégué unique du personnel), qui regroupe les attributions d'élu au Comité d'entreprise (CE) et de délégué du personnel (DP) dans les petites entreprises. Les deux autres postes ont été remportés par des représentants sans étiquette.

«Je n'avais jamais fait partie d'aucune instance, explique la jeune femme, mais on avait besoin d'aide et la CGT, ce sont les plus forts». Si «au début ce la se passait bien», selon les mots de Laurence Levert, la situation s'est rapidement dégradée entre les deux élus CGT et la direction.

Maladie et placard

«Frédéric est revenu d'un arrêt maladie, il a été mis au placard. Il travaillait seul, à un autre étage que le reste de son service, et n'avait pas accès aux dossiers relatifs à son domaine de travail», raconte Laurence.

Elle non plus n'aurait pas été épargnée: «J'étais sur un poste où je ne manquais pas de travail. On m'a propulsée chef de projet sur la dématérialisation de courrier. Quand j'ai répondu que je n'avais jamais été chef de projet et que j'aurais besoin d'une formation avant de commencer, on me l'a refusée en m'assurant qu'on m'aiderait à me former dans ma tâche». La déléguée attend encore.

Dernier épisode de ces conflits, le 27 septembre, les deux élus CGT sont destitués de leurs postes de trésorier et secrétaire du comité d'entreprise, lors d'une réunion extraordinaire convoquée par la directrice des ressources humaines, qui aura elle-même voté pour la destitution.

«On a relevé des délits d'entrave, des dysfonctionnements comme des non-convocations des élus CGT aux réunions plénière de la DUP», résume Laurence Levert. Dix délits ont été sélectionnés. Ils sont entre les mains de l'avocat de la fédération CGT et feront l'objet d'une plainte en justice.

Les cheminots à la rescousse

Hier matin, une manifestation se tenait rue de la Vallée à Amiens, devant les locaux de l'EPSF. Fait remarquable, on pouvait observer des casaques jaunes fluo estampillées CGT Champagne-Ardennes. Les cheminots avaient fait jouer la solidarité au-delà du département.

Les cheminots sont arrivés en nombre hier pour soutenir les deux délégués CGT de l'EPSF.

La soixantaine de cégétistes réunis devant l'EPSF étaient même des fonctionnaires dans leur majorité. Ce qui n'est pas le cas de Laurence Levert. Comme de la plupart des employés de l'EPSF, elle travaille sous un contrat de droit privé.

Hier, c'est la fédération cheminots de la CGT qui s'est déplacée à Amiens pour aider les adhérents de l'EPSF. «On considère que les salariés de l'EPSF sont des cheminots comme les autres, c'est pour cela qu'ils ont le soutien de la fédé», explique Gilbert Garrel, secrétaire général de la CGT-cheminots. Son organisation syndicale fédère depuis peu les salariés de droit privé, de plus en plus nombreux dans le rail, et plus seulement les fonctionnaires de la SNCF.

La sécurité du rail français

Au-delà des relations compliquées entre la direction et les deux représentants syndicaux, Gilbert Garrel entend dénoncer le fonctionnement de cet établissement public, d'envergure nationale, qui a «une responsabilité majeure» dans la sécurité des matériels roulants, des infrastructures et dans la signalisation.

Le premier des cheminots CGT, Gilbert Garrel, était venu en renfort.

«L'EPSF est chargé de vérifier que la SNCF et les autres entreprises respectent les textes réglementaires. Aujourd'hui, il est incapable de jouer son rôle. Comment une centaine de salariés pourraient-ils suffire pour mener des actions préventives?», s'interroge le syndicaliste avant de faire référence à l'accident de train de Bretigny-sur-Orge. «Les questions de harcèlement et de discrimination syndicale viennent du fait que certains salariés ont osé dénoncer cette situation».

Un entretien fructueux

Hier matin, Henry Wacsin, secrétaire général de l'Union fédérale cadre et maîtrise (UFCM) de la CGT-Cheminots est venu avec les deux délégués du personnel, à la rencontre de l'équipe de direction.

Henry Wacsin, secrétaire général de l'UFCM CGT a rappelé les enjeux de l'ouverture à la concurrence du rail pour l'EPSF.

Le directeur étant en arrêt maladie depuis un mois, les CGT se sont entretenus avec Virginie Carpentier, la directrice des ressources humaines, par ailleurs présidente du CE. «On a fait état des dysfonctionnements de l'établissement. C'était un coup de pression pour entrer dans une nouvelle dynamique de dialogue. Et cela a l'air de fonctionner, la direction a pris quelques engagements. Et les élus de la DUP en sont sortis requinqués», estime Henri Wacsin.

Dans un bref communiqué, la direction de l'EPSF rappelle son «souci d'apaisement» et estime que la réunion a été fructueuse: «La réunion a permis d'échanger mutuellement des informations, d’échanger sur un certain nombre de points et d’identifier des axes d’amélioration en termes de fonctionnement des instances représentatives du personnel. Des pistes concrètes ont été identifiées à ce sujet».

Depuis plusieurs mois, les conflits empêchaient toute action du CE. Celui-ci devrait reprendre son fonctionnement normal. La direction a également accepté l'idée de rencontres bilatérales élus CGT/direction, de la même façon que les autres élus de la DUP étaient reçus, à leur demande.

En ce qui concerne l'action en justice des CGT contre la direction, rien n'est définitif. Le sujet n'a pas été discuté, mais sera à l'ordre du jour de la prochaine réunion entre les élus du personnel et la direction. Ni Henry Wacsin, ni Gilbert Garrel n'excluent que les poursuites soient abandonnées si la situation dans l'entreprise s'apaisait.

Dans l'œil du Télescope

J'ai interviewé Laurence Levert lundi 21 octobre, les autres intervenants ont été entendus lors de la manifestation du 22 octobre. La direction de l'EPSF, contactée dans l'après-midi du 22, a préféré répondre par un communiqué.