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Décentralisation: des élus du département s'inquiètent

Le 17 October 2013
Enquête commentaires

La ministre déléguée à la décentralisation est venue rassurer l'assemblée départementale.

C'est une importante réforme qui se trame. Une réforme qui va concerner les ressources des différentes collectivités françaises: régions, départements, communes. Une réforme qui concerne aussi leurs futures attributions, leurs prérogatives dans le grand jeu de la décentralisation.

Les règles du jeu, pour les conseils généraux et les conseils régionaux, devraient changer vers la moitié de l'année 2014. De quoi inquiéter. Mais la ministre déléguée à la décentralisation, Anne-Marie Escoffier, a fait le déplacement jusqu'au conseil général de la Somme pour rassurer les élus du département, en relayant les annonces faites en juillet par le Premier ministre. Car même si le gouvernement a annoncé une restriction de 1,5 milliards d'euros des dotations de l'État aux collectivités, la ministre est venue assurer que des mécanismes compensatoires prendront place pour 2014, afin d'assurer aux collectivités des budgets suffisants.

Sur le milliard et demi d'euros de restriction, les départements français devront en supporter 476 millions. Mais la ministre tempère: «Ces efforts ne représenteront que 0,59% des recettes des collectivités territoriales. C'est beaucoup, mais c'est supportable.»

Anne-Marie Escoffier a ensuite reconnu que les départements, en plus de faire face au gel de leurs dotations, ont dû prendre en charge une hausse de leurs dépenses sociales (allocations d'autonomie des personnes âgées, RSA,  compensation du handicap). Une hausse qui devrait continuer. Au niveau national, la ministre prévoit une augmentation de 16% de ces dépenses sociales d'ici à 2015.

Fonds à double fond

Dans la Somme, Francis Lec, le vice-président aux finances du Conseil général a fait les comptes: «Cette augmentation des bénéficiaires des allocations de solidarité représente une hausse de 13 millions d'euros par an». Ainsi, en 2013, alors que 148,8 millions d'euros avaient été prévus au budget primitif, la note devrait plutôt s'élever à 164,7 millions d'euros à la fin de l'année.

«L'étranglement financier du précédent quinquennat n'est pas encore complètement desserré, estime Francis Lec. Il y a des ballons d'oxygène, mais j'attends des améliorations plus importantes». Les ballons d'oxygène, ce sont deux fonds que l'État a prévu pour venir en aide aux départements, sur l'année 2013 et sur l'année 2014.

Pour l'année 2013, un fonds de 170 millions d'euros a été proposé aux départements, répartis en deux fois, sur la base du nombre d'habitants et du revenu par habitant. Tous les départements n'en ont pas profité mais la Somme, elle, a bénéficié d'une première dotation d'1,6 million d'euros et devrait probablement bénéficier d'1,7million d'euros supplémentaires dans la seconde dotation.

Au total, le ballon d'oxygène sera de 3,3 millions d'euros. Pas de quoi compenser les 13 millions d'euros que représentera la hausse des allocations de solidarité cette année.

830 millions redistribués aux départements en 2014

Pour 2014, le fonds national sera d'environ 830 millions d'euros. Une manne plus importante, mais les conditions de sa distribution entre les départements ne sont pas encore connues. «La revalorisation annuelle du RSA de 2% représentera pour le département environ 1,7 million d'euros par an. On espère au moins récupérer cette somme: ce n'est pas aux habitants de la Somme de supporter la solidarité nationale», explique le vice-président aux finances.

L'achat immobilier sera plus taxé

En revanche, la ministre a fait une autre annonce qui devrait concerner directement les habitants de la Somme. Ceux, du moins, qui comptent acheter des biens immobiliers dans les années qui viennent.

En effet, mise à part la taxe foncière, les départements bénéficient des recettes d'une autre taxe qui concerne l'immobilier. Il s'agit de la taxe sur les droits de mutation à titre onéreux (DMTO). Cette taxe est versée par l'acquéreur d'un bien immobilier.

Actuellement, 3,80% du prix de vente du bien entre directement dans les caisses des départements. Si la proposition du gouvernement est votée, cette taxe pourrait être, transitoirement pendant deux ans, élevée à 4,5%. «On attend ainsi 1,3 milliard d'euros qui devraient suffire à compenser les augmentations de 16% des deux années prochaines», a estimé la ministre Anne-Marie Escoffier.

On l'a dit, cette taxe se prélève sur les ventes immobilières. Or, le marché immobilier n'est pas à la fête en ce moment. Si, en 2012, cette taxe avait rapporté environ 40 millions d'euros au département de la Somme, cette année le Conseil général table plutôt sur 34 millions d'euros.

Avec un calcul rapide, l'augmentation des droits de mutation (de 3,8% à 4,5%) pourrait amener 6,5 millions d'euros supplémentaires pour atteindre 40,5 millions de recettes. Soit des recettes comparables à l'année 2012. Si le marché de l'immobilier ne se dégrade plus. Il va sans dire que le Conseil général envisage sérieusement de recourir à cette hausse transitoire de plafond si la loi le permet effectivement.

Des compétences qui se mélangent

L'autre question qui a retenu l'attention des élus, de la majorité comme de l'opposition, c'est la question des domaines de compétence des départements. La ministre a rappelé que le gouvernement a bel et bien abandonné l'idée d'un conseiller territorial, élu à la fois départemental et régional, qui aurait mené à la disparition de l'échelon «département».

Néanmoins cette nouvelle étape de décentralisation sur laquelle travaille la ministre va devoir trancher entre les compétences de chaque échelon (commune, département, région). Qui doit financer la solidarité? La santé? La culture? Et le reste ?

«On ne revient pas sur les blocs de compétence, mais il faut simplifier», a résumé la ministre. Selon elle, chaque échelon a son importance. Et comme chacun aura une clause de «compétence générale» qui lui permet, en principe, de financer une action dans un domaine de compétence qui n'est pas son domaine propre, il va falloir organiser cela. Ce que la ministre propose, c'est une «conférence territoriale d'action publique», un lieu où des élus de chaque collectivité se retrouveraient pour discuter des financements communs de projets.

Exercice pratique: l'aménagement du territoire

Cela va-t-il engendrer de la confusion ? C'est ce que craint Daniel Dubois, conseiller général et sénateur UDI. «On redonne la compétence générale à toutes les collectivités, c'est à dire que tout le monde peut tout financer, dans tous les domaines. La réforme va tenter d'organiser ce "tout faire" en créant des "chefs de file"». C'est-à-dire que certaines collectivités feront autorité, devant les autres, pour telle ou telle compétence.

La ministre Escoffier, elle, voit la fin d'une «course à l'échalote» pour rassembler les financements des collectivités. Pour elle, la conférence permettra de clarifier les objectifs de financement de chaque échelon. Daniel Dubois, lui, n'y voit que la possibilité d'un diktat de la Région sur les autres collectivités, et peut-être l'impossibilité pour les petites communes rurales de financer des projets. «Avec la fin des financements croisés, je suis inquiet que les petites communes ne puissent plus financer leurs équipements importants.»

Le sénateur prend l'exemple de l'aménagement du territoire. En la matière, la Région, avec son Fonds régional d'aménagement du territoire (FRAT), le Département avec sa Politique d'aménagement concerté des territoires (PACTe) et les Communautés de communes seront toutes les trois compétentes pour décider de certains aspects de l'aménagement du territoire.

«On aura donc une conférence territoriale qui sera composée du président de région et des trois présidents de conseils généraux, entre autres. Je pense que ce sera une assemblée essentiellement urbaine. Qui va défendre les projets ruraux?», s'interroge le sénateur.

Cependant, l'élu reconnaît que la recherche de financements croisés n'était pas simple mais, selon lui, elle rendait au moins les choses possibles. «Je n'ai pas été convaincu par la ministre. Son texte n'est pas un texte de cohérence et de visibilité. La notion de "chef de file" est un flou.»

De son côté, Jean-Jacques Stoter, vice-président du conseil général en charge de l'aménagement du territoire, se veut rassurant sur la réforme en cours. «Il y a des subtilités dans l'aménagement: la Région n'a pas tout à fait les mêmes compétences que nous. Pour moi, l'idée de la ministre c'est que tout le monde se mette autour de la même table pour évoquer clairement les priorités de financement des chefs de file.»

«Si on y va la peur au ventre, il ne se passera rien de bien. Je fais confiance à l'intelligence collective», explique Jean-Jacques Stoter. C'était aussi l'avis de Christian Manable, le président du conseil général de la Somme: «Quand il s'agit de développement économique, ça se passe très bien, même entre adversaires politiques».

Dans l'œil du Télescope

Francis Lec a été rencontré mercredi 16 octobre, Daniel Dubois a été interrogé par téléphone mardi 15 octobre. Les propos d'Anne-Marie Escoffier comme ceux de Christian Manable proviennent de leurs interventions devant les conseillers généraux ou de la conférence de presse qu'ils ont donné le lundi 14 octobre.