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«Contre le chômage, la semaine de quatre jours»

Le 22 November 2012
Entretien commentaires
Par Fabien Dorémus

Jocelyne Dercourt, coordinatrice du collectif samarien de Roosevelt 2012.

Former un «puissant mouvement citoyen qui puisse engendrer une politique à la hauteur des exigences». Voilà l'objectif de Roosevelt 2012, un collectif national formé au tout début de l'année mais dont on a très peu entendu parler.

Roosevelt 2012 est un mouvement politique atypique. Ce n'est pas un parti politique mais il développe un programme précis basé sur l'application de 15 mesures radicales pour «dompter les marchés financiers, lutter contre le chômage et construire enfin une Europe démocratique, capable d'agir efficacement sur la mondialisation». Plus de 86 500 personnes en France ont approuvé ces réformes en apportant leur signature sur le site du mouvement.

Mais certains ne veulent pas se contenter d'une simple signature. C'est le cas dans la Somme où un collectif militant a vu le jour il y a quelques mois. Jocelyne Dercourt fait partie de ceux-là. Enseignante en économie dans un lycée amiénois, elle coordonne les actions du collectif samarien de Roosevelt 2012. Entretien.

Le Télescope d'Amiens : Depuis quand existe votre collectif dans la Somme?

Jocelyne Dercourt: Plus de 300 personnes dans le département sont signataires de Roosevelt 2012. Et nous sommes une trentaine à militer plus ou moins régulièrement depuis le mois de juin. Notre collectif est en partie constitué de militants déjà investis politiquement ou syndicalement. Mais ce sont des gens issus de tous horizons politiques et professionnels. Ce que l'on a en commun, ce sont les 15 propositions que l'on défend. Nous n'essayons pas de tout reconstruire comme un parti politique, nous voulons juste que s'appliquent ces propositions.

Concrètement, comment fonctionne votre collectif ?

Nous ne sommes pas organisés en association, nous n'avons pas de budget pour imprimer les tracts alors on se relaie pour acheter du matériel. C'est chacun son tour, il n'y a pas de pot commun. On se rencontre une fois par mois, chez l'un ou chez l'autre, ou dans un café. Comme nous sommes d'accord sur les propositions à défendre, on essaye surtout de réfléchir aux manières de nous faire connaître. Depuis peu, on utilise les réseaux sociaux. Mais on n'a pas encore trouvé la solution idéale!

Pourquoi ces quinze propositions sont-elles si importantes à vos yeux ?

Il est urgent d'agir! Si ces réformes ne sont pas reprises, il risque d'y avoir de telles difficultés sociales que la seule possibilité pour s'en sortir, pour beaucoup de gens, sera d'en passer par la révolte. Ça risque d'être plus violent pour tout le monde et pas forcément aussi constructif.

L'idée de base qui vous anime, c'est de reprendre le pouvoir à la finance ?

Il faut faire en sorte que le système financier finance d'abord l'activité humaine au lieu de tourner sur lui-même. Ils accumulent tellement de richesses qu'ils ne savent plus quoi faire de leur argent! On est dans un système qui pédale dans le vide. L'humain est complètement oublié, alors qu'il y a tant de besoins!

Vous parliez d'horizons politiques différents mais vos propositions sont clairement ancrées à gauche...

Il y a une majorité de gens de gauche parmi nous mais nous évitons d'aborder les choses comme ça. On recadre systématiquement sur les propositions, sinon on risque de chicaner sur tout ce qui s'est passé avant [sur toutes les batailles qui ont émaillé l'histoire de la gauche, ndlr]. L'un des représentants nationaux de Roosevelt 2012 est Stéphane Hessel. Comme lui, certains de notre collectif sont proches de la motion n°4 du Parti socialiste [motion portée par l'auteur de Indignez-vous au congrès socialiste, ndlr]. Mais il n'est pas question de faire de l'entrisme dans les partis politiques, si c'était le cas beaucoup d'entre nous s'en iraient. La moitié des signataires de la Somme n'a jamais mis les pieds dans un parti politique.

Roosevelt 2012 a été créé en janvier dernier dans le but de peser sur l'élection présidentielle. Pensez-vous avoir réussi ?

Non, je ne pense pas. Aux législatives, nous avons conduit davantage d'actions, nous avons interpellé les députés. Mais ici, seule Barbara Pompili nous a répondu.

Début 2012, Jean-Marc Ayrault et Arnaud Montebourg, alors députés, ont rejoint par leurs signatures Roosevelt 2012. Une petite signature et puis s'en va ?

Ils ont signé, maintenant c'est à eux d'assumer ! Mais en ce moment, ils doivent avoir une forte pression du monde de la finance. Ce lobbying est très important. C'est à nous maintenant de nous montrer aussi forts. Malheureusement on n'a pas les mêmes moyens...

Avez-vous des liens avec les Indignés, qui existent également à Amiens ?

Non, pas localement. En tout cas, moi je n'en ai pas. Je ne connais d'eux que ce que je lis dans la presse. Sur le fond, j'ai l'impression que l'on est d'accord sur beaucoup de choses : sur les difficultés sociales, sur l'augmentation de la précarité, et sur les causes de tout cela. Mais concrètement, ils n'ont pas grand chose à proposer à part l'indignation.

Votre 13e proposition vise à «négocier un autre partage du temps de travail». L'idée est de travailler moins ?

On peut faire un constat : d'un côté beaucoup de gens s'épuisent au travail, et de l'autre beaucoup en cherchent. Il est temps de se poser la question de comment on répartit le travail. Surtout que la productivité en France a été multipliée par 5 durant les trente dernières années. On nous parle sans cesse de concurrence mais ce n'est pas suffisant, même les Chinois commencent à se poser des questions sur leurs conditions de travail.

Dans cette optique, que faites-vous des 35 heures ?

Avec les 35 heures, on continue de se déplacer sur son lieu de travail cinq jours sur sept. Nous proposons de réorganiser la semaine pour ne travailler que quatre jours. Cela permettrait de libérer trois jours : pour les salariés, il y aurait moins de frais de transports, moins de frais de représentation. Plus de 400 entreprises sont déjà passées à la semaine de quatre jours, dont Mamie Nova et Fleury-Michon.

Vous êtes à peu près les seuls à défendre la réduction du temps de travail ?

C'est un sujet tabou ! Mais dans les années 1990, la question se posait de manière accrue et faisait la une des journaux [elle montre la une du journal Le Monde, ndlr]. Voyez, en 1995, la commission Boissonnat a établi, pour le Commissariat au plan, un rapport qui préconisait la réduction du temps de travail de 20 à 25% d'ici vingt ans.

Quelle est votre stratégie pour faire adopter vos 15 propositions ?

Il faut commencer par les mettre au débat. Nous avons besoin d'un nouveau pacte social, d'une nouvelle réflexion sur que l'on est en train de construire. Tout cela passe par la réappropriation du politique.

Vous voulez vous réapproprier le politique mais sans les partis politiques ?

Dans le fonctionnement des organisations politiques ou syndicales, il y a toujours un moment où l'on se demande si une personne ou une autre ne va pas vouloir tirer la couverture à lui. Chez nous, il n'y a pas d'objectifs personnels. On ne veut pas prendre le pouvoir mais alimenter une réflexion. Des gens comme Edgar Morin, Michel Rocard ou Stéphane Hessel, qui sont nationalement à l'origine de Roosevelt 2012, ne visent pas ou plus de carrière politique!