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Concerts: l'Accueil froid veut rester libre

Le 14 October 2012
Enquête commentaires
Par Mathieu Robert A lire aussi

 «Il faut ce genre de lieu à Amiens. Ça ramène des gens qui n'ont pas beaucoup de thunes», explique Nicolas, une semaine après que la salle de concert, qu'il gère avec 17 autres artistes du coin, a été fermée par la Mairie. Ce lieu, c'est l'Accueil froid, une salle associative qui organise des soirées bon marché, entre 3 et 4 euros, rue d'Abbeville dans le centre d'activité du Pont de la distillerie.

Apparue discrètement en septembre 2011, la salle a déjà accueilli 80 soirées, 200 concerts et plus de 700 personnes, selon les gérants. Mais voilà, le lieu vient d'être fermé jusqu'à nouvel ordre pour non respect de normes de sécurité.


L'entrée de la salle

La Mairie, à l'origine du contrôle et de la fermeture provisoire, se dit prête à les aider. Mais les membres de l'Accueil froid hésitent à accepter la main tendue. Ce qu'ils craignent? «Perdre pas mal de libertés, devoir rendre des comptes, faire moins de concerts, avoir des vigiles à l'entrée», explique Carine Donneger de l'Accueil froid. En gros, devenir un lieu de culture institutionnel, en lien avec la mairie, et perdre la complète liberté dont ils disposent actuellement. «Moi-même, je ne sais pas exactement ce que ça induirait. Il faut qu'on en discute tous ensemble».

À l'origine du projet il y a un an, dix-huit artistes qui souhaitaient organiser des concerts sans contraintes, pour les groupes ou artistes qu'ils apprécient ou rencontrent en tournée. «Ce que l'on voulait, c'était ouvrir un petite salle à plusieurs. On cherchait un endroit ou organiser facilement des concerts», explique Nicolas Belvalette de l'Accueil froid.


L'entrée de la zone d'activité du pont de la distillerie, rue d'Abbeville. 

Le lieu, ils l'ont trouvé dans la zone d'activité du Pont de la distillerie, rue d'Abbeville. D'anciens bâtiments industriels en briques, où l'on trouve par ailleurs, un supermarché et un sexshop. Nicolas avait repéré l'endroit, depuis longtemps. «C'est allé vite. On a loué les locaux trois mois avant l'inauguration».

Pour payer le loyer et faire tourner leur salle, les membres de l'association sortent chaque mois 30 euros de leurs poches. Grâce à cet argent, ils organisent des concerts quand et comme ils le souhaitent. «Il y a de tout, vraiment de tout», assure Carine.
 


 

 

«J'ai découvert qu'ils existaient seulement cet été»

Dès le début de l'aventure, l'Accueil froid a choisi de ne pas se signaler auprès de la mairie. Pour vivre heureux, vivons cachés: «C'est carrément plus simple, on est plus libres», sourit Nicolas. Ils sont restés si discrets, qu'un an après l'ouverture, la Mairie n'avait toujours pas eu vent de leur existence.


L'entrée du bâtiment qui accueille «l'Accueil froid»

«J'ai découvert qu'ils existaient seulement cet été», raconte Étienne Desjonquères, premier adjoint au maire en charge des associations. «Je me suis inquiété des conditions de sécurité. J'ai demandé à ce qu'il y ait une prise de contact pour voir qu'elles étaient les conditions d'accueil et ce qu'il faudrait faire pour qu'ils puissent continuer d’exercer».

C'était il y a deux semaines, Nicolas reçoit un appel de la directrice de la commission sécurité de la Mairie. «Le lendemain matin, ils étaient une dizaine pour visiter la salle. Pompiers, flics. À la fin de la visite, les pompiers nous ont donné un papier. Ils avaient le choix entre deux cases. Favorable, défavorable. Ils ont marqué “défavorable”», retrace ce membre du groupe Les morts vont bien. «Ensuite, la directrice m'a dit qu'elle allait téléphoner au maire pour savoir s'il fallait fermer. En fait, on a rencontré le maire, il n'était même pas au courant.»

Dans l'ensemble, Nicolas et Carine ne trouvent pas ça très clair. De son côté, Étienne Desjonquères assure ne pas être au courant du déroulement de la procédure.

«Nous n'avions pas d'autre choix que de fermer»

Quoiqu'il en soit, depuis deux semaines, l'Accueil froid est fermé. «À partir du moment où l'on met le pied dedans, que l'on sait qu'il n'est pas au normes, nous n'avons pas d'autre choix que de fermer», explique le premier adjoint au maire. En attendant, certains concerts ont pu être déplacés au Grand Wazoo, près de la gare.

Pour réouvrir, le lieu doit revoir son dispositif de sécurité. Coupe-feux, sorties de secours, installations électriques. «Il faut aussi vérifier qu'il n'y ait pas d'amiante et que la structure du bâtiment soit en état», énumère Etienne Desjonquères. Des travaux bien au dessus des moyens financiers de l'association. «Juste pour l'électricité, c'est estimé à 7000 euros», constate Carine.

«Notre but n'est pas de les empêcher d'exercer mais qu'ils le fassent dans des bâtiments aux normes», explique l'élu. Depuis la fermeture, les gérants ont rencontré la mairie à deux reprises. «On est en négociation», explique Nicolas. Deux solutions s'offrent à l'Accueil froid. Mettre au normes ou déménager. Dans les deux cas, la mairie peut leur venir en aide. Sinon, c'est le retour à l'informel. 


Dans les allées de la zone d'activité

Première solution: mettre au normes. «Dans leur bâtiment, la question est: Est-ce que le propriétaire est prêt à faire les travaux? Est-ce que cela vaut le coup d'investir?», explique Étienne Desjonquères.

Selon le Plan local d'urbanisme (PLU), la zone où ce situe le bâtiment est réservée à la Ville en cas de vente. Le terrain est destiné à être rasé et à accueillir une route. Mais ce projet date de 1992, et les élus pourraient changer rapidement de projet dans le cadre de la refondation de son projet urbain, «Amiens 2030».

«On ne sait pas trop ce que la mairie veut faire du bâtiment, c'est flou», explique Carine.

Mettre aux normes, déménager ou se passer de salle

«Nous souhaitons privilégier autre chose que les grands axes routiers, d'autres modes de transport. Mais si l'on retire notre réserve, cela pourrait amener le propriétaire à vendre le bâtiment à un promoteur immobilier». Si c'était le cas, l'Accueil froid devrait déménager dans les 4 ou 5 ans, estime Étienne Desjonquère.

Deuxième solution: trouver une autre salle. «Nous avons décidé de visiter d'autres lieux plus adaptés», explique le premier adjoint, «avec la nécessité d'éviter les conflits avec les habitants. C'était l'avantage du lieu qu'ils avaient trouvé ; ils étaient tellement à l'écart que personne ne s'était rendu compte de leur présence. En revanche, ils paient cher. Je pense que l'on peut trouver des lieux aux normes pour moins cher».

Globalement, la mairie semble prête à aider l'Accueil froid, même financièrement: «Mon rôle c'est de lever la contrainte de l'accueil du public, mais je souhaite après que nos relations se redistendent pour qu'ils gardent leur liberté. C'est un lieu qui tient sa force du fait qu'il ne s'institutionnalise pas. J'ai moi même participé à la création de la Briqueterie, je sais les difficultés à entretenir des contacts ou pas avec les pouvoirs publics», explique l'élu.

Du côté de l'Accueil froid, la décision d'accepter l'aide de la mairie devrait se prendre prochainement: «Il faut qu'on se réunisse et qu'on en discute,» conclue Carine.

Dans l'œil du Télescope

J'ai rencontré Carine Donneger et Nicolas Belvalette de l'Accueil froid, à leur domicile. J'ai ensuite contacté le service communication de la Mairie pour pour connaitre la personne en charge du dossier. C'est Étienne Desjonquères qui m'a rappelé en fin de journée. J'ai recontacté Carine Donneger le lendemain par téléphone.

À l'origine de l'enquête, une pétition lancée sur Facebook https://www.facebook.com/groups/357997147628537/?ref=ts&fref=ts