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Comptabilité précaire pour l'hébergement d'urgence

Le 10 September 2012

«On sent, depuis plusieurs semaines, une tension croissante et des entretiens de plus en plus difficiles.» Amélie Davoust travaille au service d'accueil d'urgence de l'Union départementale d'accueil d'urgence sociale de la Somme (Udaus). «Parfois ce sont des gens que nous connaissons déjà : ils voient l'hiver arriver, on leur répète qu'on n'a pas de solutions pour eux.» Sur Amiens, les moyens d'hébergement sont pleins. Depuis le 2 mai, l'association a dû refuser 1329 hébergements, soit plus de 10 hébergements par jour

D'où les tensions, les agressions verbales ou physiques que subissent les employés de la structure, des travailleurs sociaux dont la vocation est de venir en aide. Pas de laisser les gens à la rue. La situation appelait une réaction : ils ont exercé leur droit de retrait et aujourd'hui, la porte est close et personne ne répondra aux appels du 115.

Des raisons financières

La raison de ces refus et de ces tensions, il faut les chercher du côté de la situation financière que l'Udaus connaît depuis plusieurs mois. Malgré les appels à l'aide en direction des différents ministères dont ils dépendent (Intérieur et Logement) et malgré des rallonges allouées ponctuellement, il manque 570 000 euros au budget 2012 du réseau d'aide sociale.

Jean-Claude Langlois est pessimiste: sans intervention de l'état, financier habituel, la structure est en sursis.

«Le 10 octobre nous avons une assemblée générale extraordinaire. Au vu de la situation financière, il sera probablement question du dépôt de bilan» explique Jean-Claude Langlois, administrateur bénévole de la structure.

A la base de cette dette colossale accumulée par l'Udaus, il y a un calcul simple. Pour chaque personne hébergée, pour chaque nuit, l'état leur reverse 14,62 euros. Une somme avec laquelle la structure paye ses employés et accueille, dans les meilleures conditions possibles, les gens en situation de détresse. Personnes seules, familles, mineurs, étrangers demandeurs d'asile, étrangers déboutés de leur demande d'asile...

Le calcul se corse puisque la situation économique du pays se complique. De plus en plus de gens se retrouvent en situation de grande précarité et font appel au 115, le samu social, pour trouver un toit. Poursuivons le calcul: les places disponibles en foyer d'hébergement s'épuisent. Par ailleurs, l'Udaus reçoit de la préfecture des injonctions à ne laisser personne dormir dans la rue.

Faute de places en structures dédiées, des chambres d'hôtel

La conséquence : depuis plusieurs mois, l'Udaus loge dans des hôtels des familles entières, auxquelles peu de places d'hébergement sont destinées. Mais aucun hôtel ne propose de chambres à 14,62 euros la nuit.

Les dettes s'accumulent, les Agios s'accumulent et, sur un budget annuel d'un peu plus de deux millions d'euros, il manque déjà 570 000 euros.

Évidemment, devant ce déficit, l'Udaus a pris des mesures. Depuis plusieurs mois déjà, les ordres sont simples : ne plus proposer d'hébergement à l'hôtel, ne pas remplacer les résidents qui quittent leur chambre d'hôtel. Mais les dirigeants de l'association le savent aussi bien que les travailleurs sociaux : restreindre les places n'a jamais fait reculer la misère.

«le problème est entièrement financier» pour Amélie Davoust

«On a déjà manifesté en juillet 2011 et en mars 2012, mais on ne voit aucune retombée, on n'en peut plus, et les usagers sont dans la détresse eux aussi» explique Amélie Davoust. Les employés grévistes ignorent comment va évoluer la situation : ils attendent que la ministre du logement, Cécile Duflot, se manifeste enfin pour sauver leur structure de la faillite. La saison froide et son plan hivernal ne sont pas loin.

MISE A JOUR 10/09/2012 à 20:33 :

En soirée, la préfecture a émis un communiqué, suite aux échanges que le préfet a pu avoir avec l'Udaus. Des mesures d'urgence ont été ou vont être prises par la préfecture, pour remédier à la situation dans laquelle se trouve l'organisation d'hébergement.

Tout d'abord, il a été demandé à la délégation régionale de l'Office français d'immigration et d'intégration (Ofii) de ne plus domicilier de demandeurs d'asile en Somme, jusqu'à ce que la situation se désengorge. En clair : les demandeurs d'asile seront domiciliés dans l'Aisne ou l'Oise, ou devront se diriger vers une autre région française pour poser leur demande d'asile.

Un audit des comptes de l'Udaus a été demandé, «pas à charge» précise-t-on en préfecture, mais pour s'assurer que la gestion de cet argent public par l'Udaus soit la meilleur possible.

La préfecture renouvelle par ailleurs les appels aux associations caritatives, seules capables de maintenir l'aide alimentaire aux personnes précaires. Elle en  appelle également aux ministères concernés par le fonctionnement des hébergements d'urgence : le ministère des affaires sociales et le ministère du logement. En espérant que ces ministères puissent allouer une rallonge à l'Udaus, avant le début du plan hivernal. 

Enfin la préfecture compte procéder à l'examen des dossiers de toutes les personnes hébergées par la structure. En effet, la préfecture pointe comme problème de fond de cet engorgement, une «trop grande persistance des demandeurs d'asile déboutés dans les structures d'hébergement.» Soit des étrangers, mis en situation irrégulière avec le rejet de leur demande d'asile par l'Ofpra, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides.
Les travailleurs sociaux de l'Udaus ne sont pas tenus au courant du statut de ces demandeurs d'asile déboutés: ils ne peuvent pas décider de les expulser des logements réservés aux étrangers dont la demande d'asile est en cours de traitement.

Une situation complexe, sur laquelle la préfecture veut faire la lumière. Des reconduites à la frontière pourraient s'ensuivre. Mais la communication de la préfecture l'assure, des régularisations seraient aussi envisageables. Sur critères médicaux, et pour les irréguliers qui seraient aptes à «l'insertion professionnelle.» Il sera intéressant de rappeler que Jean-François Cordet, le nouveau préfet de région, a été directeur de l'Ofpra pendant plusieurs années, avant de prendre son poste à Amiens.

Si ces mesures ne suffisent pas, la préfecture cherche déjà dans ses caisses de l'argent alloué par l'état qui pourrait venir en aide à la structure.

Dans l'œil du Télescope

La direction de l'Union d'associations a été rencontrée lundi matin lors d'une conférence de presse donnée dans leurs murs, au 6 boulevard Carnot. Amélie Davoust, éducatrice spécialisée gréviste a été rencontrée au même moment. Les employés n'avaient, à ce moment, aucune idée de la façon dont pourrait se débloquer la situation.

Le service communication de la préfecture a pris contact après 19h pour expliquer les détails du communiqué produit.