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Comment la Métropole tente d'attirer les emplois

Le 10 September 2013
Analyse commentaires
Par Fabien Dorémus

«La question de l'emploi relève en premier lieu de la politique nationale et européenne, sur la fiscalité, le coût du travail, etc.» Gilles Demailly, maire d'Amiens et président d'Amiens métropole, a toujours été clair sur sa vision des choses. «Les collectivités comme la nôtre se battent mais les chiffres du chômage chez nous suivent les chiffres nationaux.»

Gilles Demailly étaye son point de vue en rappelant le nombre d'emplois perdus dans la fonction publique ces dernières années dans la métropole amiénoise : «Quand l'État réduit le nombre de fonctionnaires, ça a un impact très important. En dix ans, c'est l'équivalent de Goodyear qui a été perdu. On l'oublie souvent.»

Si la situation de l'emploi dans un territoire dépend indiscutablement de la politique menée au plus haut sommet de l'État, les Régions ont aussi leur mot à dire. Depuis la loi de décentralisation de 1982, le développement économique est le domaine d'intervention principal des conseils régionaux. Ceux-ci peuvent intervenir en aidant directement ou indirectement les entreprises (prestations de services, subventions, prêts, etc.). Les autres collectivités ne peuvent participer au financement de ces aides que sur la base d'une convention avec leur Région.

400 hectares disponibles «à tout moment»

Que reste-il alors à une communauté d'agglomération comme Amiens Métropole ? «La seule compétence qui nous appartient, c'est l'intervention foncière et immobilière», expliquait Jean-François Vasseur, vice-président d'Amiens Métropole en charge du développement économique, lors d'un point presse donné en mairie jeudi dernier, au côté de Gilles Demailly.

En clair, la Métropole dispose actuellement de 400 hectares de terrain qu'elle peut, en quelques mois, mettre à disposition d'éventuels entrepreneurs. Où se trouvent ces terrains ? Pour partie, sur le Pôle Jules-Verne, cette zone d'activités située sur les communes de Glisy, Boves et Longueau.

Mais la grande majorité des ces terres rapidement disponibles se trouvent de l'autre côté de l'agglomération, sur une zone qui s'étend sur les communes d'Amiens, Pont-de-Metz, Salouël et Saleux. Là-bas, «on maîtrise 300 hectares», indique Jean-François Vasseur: la zone est appelée Boréalia.



Les zones d'activités d'Amiens métropole (crédits: Amiens métropole).

Autour de Boréalia (300 hectares), une zone encore plus grande, 650 hectares de terres agricoles, est considérée d'intérêt public. «Ça a été décidé il y a quarante ans, raconte le vice-président métropolitain au développement économique. Une convention cadre avec la chambre d'agriculture a fixé les conditions de négociations et le coût d'acquisition pour la collectivité.» C'est la partie centrale de cette zone, Boréalia, qui intéresse particulièrement Amiens métropole. Ici, les agriculteurs louent les terres à l'année. «Ils payent moins cher mais on peut leur dire à tout moment de partir.»

Les trois structures d'aides immobilières

Faire partir les agriculteurs, d'accord, mais pour faire quoi ? La Métropole utilise trois structures pour tenter de faire s'implanter des entreprises dans le secteur: les incubateurs (ou couveuses), les pépinières et les hôtels d'entreprises.

Chaque type de structure correspond à un besoin. Les hôtels d'entreprises sont des bâtiments au loyer minoré. Amiens métropole en est propriétaire et loue à des sociétés, à bas prix. Les bâtiments Terralia et Oxygène, dans le quartier Gare-La-Vallée à Amiens, sont de ce type. Souvent, les entreprises y restent trois ans.

Trois ans, c'est aussi la durée de location moyenne dans les pépinières d'entreprises. Toujours dans le quartier Gare-La-Vallée, la pépinière Amiens - Le Lab offre aussi aux entreprises des loyers modérés. «Mais là, on offre du service en plus, indique Jean-François Vasseur. Par exemple, dans une pépinière, un plombier pourra louer un atelier mais aussi disposer d'une douche, d'un secrétariat au standard mutualisé, d'une reprographie, etc.»

Jusqu'à neuf ans de dorlotage public

Le troisième type de structure que peut créer la Métropole, dans son domaine de compétence, est l'incubateur. Destiné aux entreprises qui ne sont pas encore créées, l'incubateur (ou couveuse) va permettre l'élaboration de budgets prévisionnels et aussi et surtout de disposer d'une adresse et d'un bureau. «Au bout de trois ans, l'entreprise va peut-être pouvoir se débrouiller toute seule.» Alors elle quittera la couveuse.

Mais si la société a encore besoin d'accompagnement ? «Je défends l'idée que c'est souvent au bout de trois ans que les entreprises ont de grosses difficultés. Alors, faire passer une entreprise de l'incubateur à la pépinière, puis de la pépinière à l'hôtel, permet de l'aider pendant neuf ans», assure Jean-François Vasseur.

Voilà donc les trois structures susceptibles de dynamiser l'emploi local. Mais pour l'élu de la Métropole, les choses ne sont pas si simples. Car les entreprises ne souhaiteraient plus s'implanter seules sur une zone offrant pourtant des tarifs locatifs très favorables. «On a eu le problème sur Boréalia, aucune société ne voulait être la première à s'installer, pour des raisons de gardiennage, de sécurité.»

Des entreprises dures en affaires

Plus difficile encore pour les collectivités, les entreprises donnent parfois la prime à la rapidité. «Certaines entreprises demandent des permis de construire sur plusieurs territoires et s'installent là où les aménagements et la voirie ont été faits le plus rapidement», laissant les collectivités «perdantes» avec une facture d'investissement importante, mais sans emploi nouveau.

Dans ce contexte, les métropoles cherchent à accroître leur compétences en matière de développement économique. «Ce sont dans les grandes villes et les métropoles que se créent les emplois en majorité, explique Gilles Demailly. Mais elles sont bridées par le contexte administratif. Il faut qu'Amiens puisse affirmer son rôle.»

Les maires des grandes villes de France espèrent que le prochaine loi de décentralisation verra augmenter leur pouvoir en matière de développement économique. L’Association des maires de grandes villes de France organisera d'ailleurs, à Paris le 25 septembre, une conférence sur le sujet.

Les métropoles pourraient ainsi être autorisées à donner des subventions directement aux entreprises, au titre de l'aide à la création d'emploi ou pour de l'investissement. Mais selon Jean-François Vasseur, la solution n'est pas dans ces outils. «Quand Procter a construit à Amiens son laboratoire de recherche sur les produits innovants, les collectivités (Région, Département, Métropole) ont donné 900 000 euros. Mais sur un investissement total de 42 millions d'euros, c'est une goutte d'eau, même si cela montre une volonté politique.»

De l'utilité des subventions publiques

Alors, que faire ? À droite, Benoît Mercuzot (UMP), élu métropolitain et soutien du tandem Fouré-Gest pour l'élection municipale à Amiens, reproche à l'actuel maire d'Amiens et président de la Métropole d'être un «acteur passif».

Celui qui est encore maire de Dury reproche à l'actuelle majorité de se contenter d'une stratégie foncière en matière de développement économique. «La seule restriction légale, pour la Métropole, c'est en matière d'aide aux entreprises. En dehors de ça, la Métropole peut agir pour constituer des filières, en rapprochant les chercheurs et les industriels et en favorisant le tour de table financier.» Et de donner deux exemples de filières nouvelles possibles à Amiens: la médecine, en lien avec l'Institut Faire Face, et l'énergie, «en développant la mobilité électrique sur la métropole».

«Mercuzot veut mettre les gens en lien localement, mais c'est trop limité», répond Jean-François Vasseur. Sans réfuter l'idée. Et pour cause, l'élu de la majorité de gauche pense aussi que la Métropole doit favoriser les liaisons entre les acteurs locaux. «Pourquoi va-t-on chercher l'architecte Renzo Piano pour faire la citadelle ? On a de très bons architectes à Amiens. Mais ils n'ont pas de relations avec les entreprises locales, alors que le cabinet de Renzo Piano a un vrai réseau de travail autour de lui.»

Contourner la loi, ou pas

Comment créer ces réseaux ? «On fait du lobbying auprès des entrepreneurs, on essaie de les convaincre. C'est déterminant, mais on ne peut pas l'imposer», tempère le vice-président au développement économique.

En revanche, il indique qu'une Métropole, sans attendre une quelconque loi de décentralisation, peut «faire de l'attractivité en contournant la loi». Et de citer l'exemple de Saint-Quentin (Aisne) où la collectivité a pris en charge de relier les entreprises à la fibre optique. «Chez nous, Ajinomoto et Procter sur la zone industrielle nord pourraient avoir besoin d'un réseau de vapeur mutualisé. Mais on ne le fait pas», pointe Jean-François Vasseur. Jusqu'où l'argent public doit-il aider les entreprises privées ? Un vrai débat politique.

Dans l'œil du Télescope

Après m'être rendu au point presse organisé par Gilles Demailly et Jean-François Vasseur en mairie d'Amiens jeudi dernier. J'ai rencontré, le lendemain, une seconde fois le vice-président au développement économique pour obtenir des précisions. Entre-temps, j'ai joint Benoît Mercuzot par téléphone.