Archives du journal 2012-2014

Clash surprise au conseil général

Le 25 March 2013

Quelle sera l'ambiance ce matin au sein de l'assemblée départementale, au moment de la reprise des débats? Difficile à dire. Le conseil général de la Somme vient de vivre un épisode rare d'échauffement des esprits. Une séquence qui a conduit à la suspension de la session budgétaire vendredi midi.

Vers 11 heures, ce vendredi, les médias locaux reçoivent des coups de téléphone de la part de l'opposition départementale. «Une conférence de presse va avoir lieu dans 15-20 minutes, vous pouvez venir?» , annonce le conseiller général Hubert de Jenlis (UDI) au Télescope d'Amiens. Un point presse est improvisé par les deux groupes politiques de droite et de centre-droit. Improvisé, vraiment? «Oui, ce n'était pas prévu», assure Jérôme Bignon, conseiller général UMP.

Tout au long de la semaine dernière, les six commissions du conseil général ont planché sur le budget du Département. Vendredi, en séance plénière, les conseillers généraux devaient examiner le travail réalisé par ces commissions. Quelques minutes après le début de la séance, Jérôme Bignon a pris la parole pour dénoncer «un problème de transparence» concernant un point important du budget 2013.



Jérôme Bignon (UMP), Daniel Dubois et Olivier Jardé (UDI), vendredi matin.

La discorde concerne un prélèvement sur le résultat 2012 destiné au budget 2013. Il faut savoir que l'année dernière, les comptes du conseil général étaient clairement dans le vert: le compte administratif affiche un excédent de 29 millions d'euros. La majorité de gauche a choisi d'en prélever 11 millions afin d'équilibrer son nouveau budget. Cette somme sera consacrée à l'investissement. Ça n'a l'air de rien mais cette opération est extrêmement rare.

«Cela fait 33 ans que je suis conseiller général, témoigne Jérôme Bignon, ce n'était encore jamais arrivé.» D'ordinaire, lorsque le conseil général utilise les excédents, ils sont affectés au budget dit «supplémentaire», réalisé plus tard dans l'année, au second semestre. Cela permet de d'ajuster ses prévisions, de réagir à la conjoncture. Or, cette fois-ci, c'est pour équilibrer le budget primitif, examiné en ce début d'année, que ces 11 millions ont été prélevés.

«Nous ne sommes plus dans le cadre d'une procédure de droit commun, affirme Daniel Dubois (UDI). Ce transfert d'argent est strictement encadré par la loi. Nous exigeons donc que les règles de transparence prévues par la loi soient appliquées.» Pour le conseiller général centriste, les règles n'ont pas été respectées et le budget est tout simplement «hors la loi».

Un budget hors la loi ?

La reprise anticipée des excédents de 2012 est «une procédure dérogatoire qui doit être entourée d'un certain nombre de précautions, abonde Jérôme Bignon. Des pièces doivent être présentées aux élus, et nous ne les avons pas.» Les documents qui sont censés être fournis sont d'ordre comptable: fiche de calcul du résultat prévisionnel, compte de gestion, état des restes à réaliser, etc. Des éléments qui doivent permettre au élus d'y voir clair.

«L'état des restes à réaliser», par exemple, est un document de première importance selon l'opposition. Les «restes à réaliser» (RAR) sont les dépenses engagées en 2012 mais qui n'ont pas encore été formellement payées par le Département. Et qui devront l'être en 2013. Connaître le montant de ces RAR permet de donner une image fidèle de l'année comptable écoulée. «Le montant des restes à réaliser peut s'avérer monstrueux!», s'inquiète Hubert de Jenlis.

La majorité affirme que les documents étaient à disposition de l'opposition depuis lundi dernier, notamment d'Hubert de Jenlis, lui-même membre de la commission des finances. «Hubert de Jenlis et trois autres conseillers de l'opposition siégeaient dans la commission, ils n'ont demandé aucun document avant ce [vendredi] matin, accuse Francis Lec, premier vice-président du conseil général de la Somme, en charge des finances. Les documents demandés sont dans le dossier principal et, pendant cinq jours, personne ne les a réclamés.»



Francis Lec (PS), vice-président du CG en charge des finances.

Francis Lec accuse l'opposition de chercher «à exister médiatiquement» par une «manœuvre déloyale et déplorable». «Aujourd'hui j'appelle à la responsabilité des élus, les Samariens ne doivent pas souffrir des rivalités à l'intérieur de l'opposition.» Pour Francis Lec la «gesticulation» de vendredi est la conséquence d'une rivalité entre l'UMP et les centristes.

Par ailleurs, le vice-président en charge des finances se veut rassurant: «Les restes à réaliser ne vont pas impacter le budget. Quand bien même, ils s'élèveraient à un ou deux millions d'euros, nous avons de l'argent.» Il se félicite au passage que la Somme dispose de 29 millions d'euros excédents: «La moitié des départements de France n'en ont pas!»

Pourquoi l'opposition n'a-t-elle pas cherché à obtenir les documents réclamés ce vendredi, alors que la commission des finances se réunissait depuis plusieurs jours? «Il nous fallait prendre le temps de vérifier si la reprise anticipée du résultat de 2012 était réalisée en accord avec la loi», explique Hubert de Jenlis. En fait, les élus de l'opposition n'ont pas su tout de suite quel était le cadre légal de ce type d'opération, particulièrement rare. C'est Jérôme Bignon qui s'est chargé de creuser le sujet.

La reprise partielle du résultat n'est pas permise

Jérôme Bignon est avocat des affaires, député de la Somme pendant quinze ans (1993-1997 puis 2002-2012) et conseiller général du canton de Oisemont depuis 1980. «Avec mon expérience, j'ai vu qu'il y avait une anomalie dans le texte qui nous était présenté.» Il s'agit du texte légal accompagnant la décision d'affecter une partie de l'excédent de 2012 au budget primitif de 2013.

Pour Jérôme Bignon, «ce texte n'était pas la loi». Mais il n'en était pas certain. Alors il s'est penché sur la question durant la semaine. Et il a fini par trouver. Un document, disponible sur le site internet du ministère des Finances (voir page 115), précise les conditions nécessaires à la reprise anticipée des résultats.

Ce document stipule que la reprise anticipée doit être justifiée par un certain nombre de pièces comptables, réclamées aujourd'hui par l'opposition. Mais il est également indiqué qu'il «ne peut y avoir de reprise partielle» du résultat. Impossible donc de reprendre seulement 11 millions d'euros sans définir ce que l'on va faire des 18 millions restants.

Sur cette question, Francis Lec indique que Christian Manable, président du conseil général de la Somme, présentera un amendement cette semaine indiquant l'affectation de l'ensemble des 29 millions d'euros. Quant aux documents réclamés, il assurait vendredi qu'ils seraient envoyés par mail à tous les élus «dans les prochaines heures».

Une majorité pressée de voter le budget

Vendredi matin, vu la situation, la session budgétaire a été suspendue vers midi. L'opposition demandait douze jours pour «avoir le temps d'examiner tous les documents réclamés», soit un report de la session budgétaire au 2 avril. Mais la majorité a décrété l'urgence pour réduire ce délai à «un jour franc», c'est-à-dire vingt-quatre heures, ce qui nous amène à lundi en comptant le week-end.

L'argument avancé par la majorité pour lancer la procédure d'urgence est que le budget du conseil général doit être légalement voté avant le 31 mars. Mais l'opposition affirme que dépasser légèrement ce délai ne ferait pas invalider le vote.

Selon Francis Lec, avocat lui aussi, la loi n'obligeait pas formellement à envoyer les documents à tous les élus. «L'esprit de la loi, explique-t-il, est qu'au moment du vote, il soit établi que les élus ont eu à disposition tous les éléments, et à temps, nécessaires à éclairer leur jugement.» Pour lui, c'était le cas et «l'incident aurait pu être évité en commission des finances».

Il n'en reste pas moins que la séance plénière de vendredi a semé le trouble dans la majorité. «Il y a eu une maladresse, regrette Isabelle Demaison, conseillère générale, ex-PS mais toujours dans la majorité (voir notre article). Aujourd'hui, on peut entendre la position de la droite, même si elle en profite pour s'engouffrer dans la brèche. Mais les élus aiment savoir l'état exact des finances.»

Suite des événements, ce matin.

Dans l'œil du Télescope

Après m'être rendu au point presse improvisé vendredi matin au conseil général, j'ai rencontré Francis Lec l'après-midi dans son bureau. J'ai ensuite recontacté Jérôme Bignon et Hubert de Jenlis par téléphone pour obtenir des précisions. C'est également par téléphone que je me suis entretenu vendredi après-midi avec Isabelle Demaison.