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Cette gauche qui veut faire du neuf à Amiens

Le 28 March 2014
Reportage commentaires (1)
Par Fabien Dorémus

Changer la gauche pour changer la société. C'est ce qui semble être le leitmotiv de ces deux nouvelles organisations politiques nationales, «Nouvelle donne» et «Ensemble», dont les déclinaisons locales viennent de voir le jour à Amiens. Pour l'instant quasi inconnues, ces deux organisations bien distinctes ont des objectifs communs: contester l'hégémonie du Parti socialiste (PS) à gauche et changer la manière de faire de la politique.

«Ensemble» est la plus récente de ces organisations. Son lancement officiel a eu lieu cette semaine dans la capitale picarde. Lundi soir, une petite trentaine de militants s'étaient donné rendez-vous dans la salle municipale La Bretesque. Et beaucoup d'entre eux se connaissaient déjà. Pas étonnant. «Notre mouvement vient de la campagne de 2005 contre le Traité constitutionnel européen, commence Édouard Krystoforski, militant antilibéral aguerri. On a senti aujourd'hui la nécessité de se retrouver ensemble.»

Car depuis cette campagne de 2005, les trajectoires politiques avaient divergé sur fond de désaccords stratégiques. Les uns et les autres se retrouvant éparpillés au sein d'une galaxie de petits partis de gauche récemment créés. Mais lundi soir, tous se retrouvaient sous un même toit, «Ensemble», un mouvement politique lui même membre du Front de gauche.



Les militants de «Ensemble», lundi soir à Amiens.

Certains, dans cette réunion, étaient toutefois novices de la politique. «Je n'ai jamais eu ma carte nulle part, mais c'est ici que je place mes espoirs. Nous avons la possibilité de créer quelque chose de grand», s'enthousiasmait Anthony Kojalavicius, un étudiant amiénois investi dans le domaine associatif.

Par ailleurs, lundi soir, des membres amiénois du Parti de gauche (PG) de Jean-Luc Mélenchon avaient également pris part aux débats d'«Ensemble». Tout comme Étienne Desjonquères, encore premier adjoint au maire d'Amiens ou Isabelle Graux, adjointe au logement. Cette dernière est d'ailleurs candidate sur la liste municipale menée par le socialiste Thierry Bonté, tout comme Aurélie Devauchelle, 50e sur la liste Osons Amiens, présente également dans la salle. Et à propos des élections municipales, «Ensemble» appelle nationalement à «battre la droite et l'extrême droite» lors du second tour dimanche.

Désobéissance aux traités européens 

Mais, plus généralement, que veut «Ensemble»? D'abord changer d'Europe. «Notre combat se situe dans une stratégie européenne de rupture avec le libéralisme, indique Kelly Poulet, doctorante en sociologie, spécialiste des migrations et militante associative. Nous devons travailler avec d'autres pays sur une stratégie de désobéissance aux traités européens.»

Les considérations écologiques semblent également au cœur de la démarche: «Notre écologie doit être populaire et refuser les logiques culpabilisantes. On doit par ailleurs surmonter la fausse opposition entre défense de l'emploi et préservation de l'environnement en s'engageant dans la conversion écologique de l'économie.» En accord avec les textes de références adoptés nationalement par «Ensemble», Kelly Poulet a expliqué que son mouvement politique visait à «faire converger les combats entre toutes les oppressions: de l'exigence féministe à la lutte contre le racisme et la xénophobie».

«Ensemble» rassemblerait 2500 militants nationalement au sein de son «mouvement politique pluriel qui agit au sein du Front de gauche». Ce n'est pas encore un parti politique, seulement un «mouvement». Une période de réflexion collective d'un an vient de commencer et devrait s'achever par l'adoption de règles de fonctionnement internes claires. D'ici un an, le «mouvement politique pluriel» devrait donc sortir de sa chrysalide pour devenir un parti.

«Nouvelle donne» revendique 6000 adhérents

De son côté, «Nouvelle donne» est déjà un parti politique et il se présentera d'ailleurs, seul, aux élections européennes de juin prochain. Il a été initié par Pierre Larrouturou, ancien membre du PS et d'EELV, spécialiste de l'économie et notamment farouche partisan du partage du temps de travail.

Actuellement conseiller régional d'Île-de-France, élu en 2010 sous l'étiquette EELV, Pierre Larrouturou avait tenté d'insuffler ses propositions économiques au sein du Parti socialiste en 2012 lors du congrès. À l'époque, la motion qu'il avait déposée, et qui était notamment représentée par Stéphane Hessel, avait recueilli près de 12% des suffrages nationalement et plus de 9% dans la Somme.

Depuis, Pierre Larrouturou a créé «Nouvelle donne». C'était en novembre dernier, un parti qui assure déjà rassembler 6000 adhérents. Dans la Somme, «trente-cinq personnes ont adhéré depuis notre création en février», indique Jean-Michel Barrault, ancien membre du PS (de 1981 à 2010) et coordinateur de «Nouvelle donne» en Picardie. Le parti compterait une centaine de membres dans la région.

Si les trois adhérents de «Nouvelle donne» rencontrés cette semaine à Amiens sont passés par le PS, ils assurent que «40% d'entre nous n'avaient jamais été encartés auparavant, dont beaucoup de jeunes». Dominique Théo, qui a quitté le PS amiénois récemment après 35 ans de militantisme en son sein, regrette qu'à gauche les choix de gestion aient remplacés les choix politiques. «Il n'y a plus de réflexion sur la société».

Vingt propositions au débat

Alors sur le fond, «Nouvelle donne» entend s'attaquer fermement aux problèmes économiques et sociaux. Analysant que la crise que nous connaissons «vient d'un partage de plus en plus inégal des richesses», le parti met sur la table une vingtaine de propositions pour «rompre avec un modèle économique qui nous amène dans le mur» et pour «remettre à l’endroit tout ce que 30 ans de dérégulation ont mis à l’envers».

Aussi et surtout, «Nouvelle donne» veut adopter un fonctionnement interne très démocratique. «On ne peut plus continuer avec le centralisme démocratique dans lequel la base de l'organisation applique ce que la tête a décidé», tonne Jean-Michel Barrault. Ce qui implique aussi, pour «Nouvelle donne», d'en finir avec la Ve République, cette «monarchie constitutionnelle dans lequel le Parlement n'est plus qu'une chambre d'enregistrement».



Youssef Amara, Jean-Michel Barrault et Dominique Théo, de «Nouvelle donne».

Faire de la politique autrement, rengaine souvent entendue, mais comment? Jean-Michel Barrault donne un exemple concret concernant la manière dont les candidats de «Nouvelle donne» aux élections européennes vont être choisis. «C'est une commission composée de membres tirés au sort qui auditionnera tous ceux qui ont fait acte de candidature et qui les choisira.» Une manière, espère-t-il, d'éviter les petits arrangements d'arrière boutique.

Le non-cumul des mandats, y compris dans la durée, est aussi au cœur du projet afin de supprimer les «carrières politiques». Une règle appliquée au sein même du parti: «Par exemple, moi je suis coordonnateur en Picardie pour six mois, mais après je passerai la main», explique Jean-Michel Barrault.

Attirer les ouvriers et les employés

Il s'agit aussi de diversifier l'origine sociale des militants politiques, notamment ceux qui brigueront des mandats électoraux. Et tout cela commence par la base. C'est ce dont témoigne Youssef Amara, récemment arrivé à «Nouvelle donne» après avoir passé trois ans au PS.

Il explique avoir mal vécu ses réunions politiques passées. «Je suis simple cheminot exécutant, je commence à 4 heures du matin. Alors quand il y avait des réunions le soir, j'étais parfois fatigué, je ne parlais pas très bien. Et j'entendais des ricanements. C'est comme ça que, petit à petit, les ouvriers et employés sont exclus des partis de gauche!»

Une analyse partagée du côté d'«Ensemble». «Il faut que l'on devienne un laboratoire de la gauche dans lequel se retrouvent des gens de différents horizons politiques et de différents milieux sociaux», expliquait l'un des participants lundi soir.

Changer le Front de gauche

Mais une grande différence réside entre les deux organisations. Contrairement à «Nouvelle donne», qui est en train de se construire de manière totalement autonome, le mouvement «Ensemble» fait partie intégrante du Front de gauche. Il doit composer avec ses partenaires privilégiés que sont le Parti communiste français (PCF) et le Parti de gauche (PG). Deux partis très en froid à Amiens depuis que l'un a choisi de soutenir le socialiste Thierry Bonté pour les municipales pendant que l'autre apportait son concours à la liste menée par le communiste dissident Cédric Maisse.



Lundi soir à la salle municipale La Bretesque.

Pour Marianne Mugnier, membre de Gauche unitaire et ancienne candidate Front de gauche aux législatives de 2012, le mouvement «Ensemble» doit permettre au Front de gauche de passer un palier: «Il faut sortir le Front de gauche de son fonctionnement en simple cartel électoral». Elle fait d'ailleurs le constat amer que, ces dernières années, entre deux élections «on n'a jamais réussi a porter un programme politique qui permette de contrecarrer et prendre le pouvoir au PS».

Dans cette optique, ces militants ont du pain sur la planche. Mais ils se sont d'ores et déjà donné rendez-vous le 12 avril pour une marche à Paris contre la politique économique du gouvernement. Et il est fort probable qu'ils y croisent des militants de «Nouvelle donne».

Dans l'œil du Télescope

J'ai assisté à la réunion de lancement de «Ensemble» lundi soir et j'ai rencontré les adhérents de «Nouvelle donne» mardi après-midi, dans un café amiénois.