Archives du journal 2012-2014

Cantines des lycées picards: pourquoi les tarifs changent

Le 11 January 2013
Article commentaires
Par Fabien Dorémus

Pour Stéphane Catalan (CGT), les modifications sont justifiées mais inéquitables.

30% d'augmentation. Stéphane n'en est pas revenu. C'était en début de semaine, au lycée professionnel de l'Acheuléen à Amiens où il travaille comme assistant d'éducation. Fraîchement rentré des congés de fin d'année, il se dirige vers l'intendance pour «remettre de l'argent» sur la carte magnétique qui lui permet de manger à la cantine de l'établissement. C'est là qu'il apprend que son repas ne lui coûtera plus 2,65 € comme c'était le cas jusqu'à fin décembre mais 3,45 €. Soit une augmentation de 80 centimes. «J'ai cru à une erreur.»

«J'ai payé. En sortant, j'ai croisé un collègue, je lui ai raconté. Lui aussi a cru à une erreur.» Personne dans l'établissement ne semblait au courant. «Tout le monde, chez les collègues, était un peu écœuré», confie Stéphane Catalan, également syndiqué à la CGT. Un assistant d'éducation touche 586 € net par mois pour un mi-temps, alors «en terme de budget, ça fait mal».

L'augmentation a touché tous les usagers du lycée l'Acheuléen:
- lycéens : de 3,45 à 3,58 € (+4%)
- les agents de catégories A : de 4,20 à 4,40 € (+5%)
- les agents de catégories inférieures : de 2,65 à 3,45 € (+30%)

Des augmentations jugées inéquitables. «Avant, les tarifs respectaient les inégalités salariales entre personnels des différentes catégories, explique l'assistant d'éducation, sachant qu'un agent de catégorie C gagne entre 1,1 et 1,2 Smic. Et qu'il y a aussi des personnes en service civique qui effectuent des missions semblables à celles des assistants d'éducation mais sont moins bien payés. Eux sont véritablement exploités. Avec les 30% d'augmentation, on a l'impression qu'une certaine justice sociale a été coulée.»

Pourtant, le syndicaliste reconnaît que pour la prestation proposée - «la cantine est bonne» - le prix n'est pas prohibitif. Mais il craint, qu'à l'avenir, certains désertent la restauration du lycée. «Des membres du personnel ont dit qu'ils ne mangeraient plus à la cantine.» Les personnels qui habitent dans les environs de l'établissement pourraient désormais préférer rentrer chez eux le midi. «La cantine est excédentaire actuellement mais elle risque à l'avenir d'être déficitaire.»

Pourquoi cette augmentation ? C'est une question d'harmonisation.

Pas de relation entre prix et qualité

C'est le Conseil régional qui a décidé cette harmonisation des tarifs sur tout le territoire picard. «Il y avait des disparités énormes entre les établissements, indique Isabelle Puglisi, directrice adjointe à l'éducation au Conseil régional de Picardie. Et pas de relation entre le prix et la qualité.» En effet.

Jusqu'ici les tarifs étaient très variables. Pour un lycéen, le prix unitaire du repas était compris entre 3,30 et 3,90 €. Pour les agents de catégorie A entre 3,43 et 4,89 € et pour les autres agents entre 2,25 et 3,64 €.

Pour les lycéens à Amiens, les repas les moins chers se trouvaient au lycée Delambre alors que les plus onéreux se règlaient au lycée Michelis. En Picardie, ce sont les lycéens de Pierre-Méchain à Laon qui déboursaient le plus avec un repas à 3,90 €.

Pourquoi de telles différences ? Personne n'en sait trop rien. Jusqu'alors c'étaient les établissements qui fixaient leurs prix. En solo. «C'est historique, des tarifs ont été fixés il y a longtemps», indique laconiquement Philippe Sueur, directeur de l'éducation à la Région. «Un seul facteur peut jouer, ajoute Isabelle Puglisi, c'est lorsqu'un établissement ne fait pas beaucoup de repas, on peut alors comprendre que les denrées leur coûtent plus cher.»

Deuxième phase d'harmonisation

Depuis 2006 et un nouvel acte de décentralisation, les régions sont compétentes en matière de restauration dans les lycées. «Il a fallu aux élus et aux services un temps pour appréhender le système et pour s'organiser», explique Philippe Sueur. Passé ce délai d'observation et d'analyse, il a été décidé au Conseil régional de Picardie de mettre fin aux disparités qui apparaissaient comme autant d'inégalités.

«Il y a eu une première phase d'harmonisation de 2009 à 2012, relate Isabelle Puglisi. Nous avons travaillé sur un tarif médian afin de réduire les écarts.» Depuis cette semaine, c'est la phase 2 qui est en marche.

En 2015, tous les lycées de Picardie devront proposer leurs repas aux mêmes tarifs. Pour les agents de catégorie A ce sera 5 € (actuellement 4,40 € en moyenne). Pour les autres agents et les lycéens ce sera le même prix : 3,85 € (respectivement 2,85 € et 3,55 € en moyenne actuellement).

Hausse généralisée mais aides sociales

Pour atteindre ces montants, des ajustements, décidés établissement par établissement par le Conseil régional, auront lieu progressivement en 2014 et 2015. «L'objectif c'est de rééquilibrer», justifie Philippe Sueur. Et prenant l'exemple du lycée l'Acheuléen: «Ce qui est surprenant, c'est que certains agents payaient moins que les lycéens.» Pour Isabelle Puglisi «cela montre bien qu'il n'y avait aucune politique globale des établissements. Est-il normal que des parents Rmistes (sic) payent davantage pour leurs enfants que des salariés ?»

Harmonisation, rééquilibrage, certes. Mais dans tous les cas, ou presque, il s'agit d'augmentations. «Par rapport à l'augmentation des denrées et du gaz, la hausse des prix des repas n'est pas très importante, assure Isabelle Puglisi. Sachant qu'un élève ne paye que 45% du coût de son repas.» C'est la Région qui paye le reste, soit un coût d'environ 6,5 millions d'euros pour la collectivité. À titre de comparaison, un repas en restaurant universitaire est payé à 60% par les étudiants, et seulement à 40% par l'État.

Pour les élèves qui auraient des difficultés passagères de paiement, la Région a mis à disposition des lycées une enveloppe de 700 000 euros au total. «Chaque établissement décide de la manière d'utiliser la somme qui lui est allouée en fonction des besoins de ses élèves, Philippe Sueur. Ça permet d'être réactif.» Une aide pour payer des repas à la cantine mais pas seulement. Il peut s'agir aussi d'une aide au transport ou même, dans les cas dramatiques, d'un accompagnement pour les frais funéraires.

Mais il n'est pas seulement question d'argent dans l'harmonisation entreprise dans les cantines lycéennes. L'idée est aussi de mieux manger. «Nous voulons favoriser l'agriculture et les entreprises locales, explique Isabelle Puglisi. On peut ainsi acheter des produits frais et de saison. Nous voulons montrer que ça ne coûte pas forcément plus cher. Les produits non travaillés coûtent moins chers que ceux en boîte ou surgelés, ça supprime des intermédiaires.»