Difficile pour les habitants de l'agglomération amiénoise d'ignorer la réorganisation du réseau de bus. Depuis plusieurs mois, la Métropole communique abondamment sur le nouveau réseau. Cette semaine encore, des guides horaires des «Lianes», ces «Lignes à niveau élevé de service» ont été distribués dans les boîtes aux lettres des habitants.
Parfois cela tombe à côté. Comme lorsque la distribution du JDA, qui contient le plan du nouveau réseau, tombe en pleine grève des chauffeurs de bus. Ce qui n'a pas manqué de faire réagir les usagers privés de la plupart des bus pendant treize jours.
Dernière communication en date, le magazine «Go!», distribué dans les boîtes aux lettres des Amiénois cette semaine. L'objectif est clair: attirer de nouveaux usagers dans les bus. Le réseau a été créé pour cela: «Une nouvelle idée de la mobilité», «bougez mieux et moins cher» ou «redécouvrez le bus», enjoignent les titres de ce «magazine du réseau Amétis».
Il faut dire que le réseau actuel est loin d'être performant. Sa fréquentation est passée de 18 millions de voyageurs dans les années 90 à 11 millions aujourd'hui. Une hausse des recettes serait profitable à la direction de Kéolis comme à la Métropole qui, selon le contrat d'affermage signé avec l'entreprise délégataire, récupère une partie de la recette des ventes de ticket.
Les chauffeurs en trouble-fête
Mais sur son chemin, Kéolis trouvera la CGT. C'est un euphémisme de dire que Toufik Halaïmia n'est pas convaincu par le nouveau réseau. Mercredi 2 janvier, au nom de la CGT Amétis dont il est le délégué, il est allé déposer un préavis de grève dans le bureau de la direction. La grève débuterait à la rentrée, le matin du 7 janvier. De quoi gâcher le lancement du nouveau réseau.
Son analyse de la nouvelle organisation? «On est dans la productivité et la rentabilité à outrance», estime le délégué CGT. Sur le préavis de grève déposé par le syndicat, figurent quatorze points de discorde avec la direction. En premier, c'est le paiement des jours de retrait que les employés avaient fait valoir pendant le mouvement de fin novembre. La direction a choisi de les décompter comme jours de grève. En réaction, le syndicat s'apprête à poursuivre Kéolis devant les prud'hommes.
Toufik Halaïmia (CGT) et l'avocat Fiodor Rilov pourraient attaquer Kéolis devant les prud'hommes.
Derrière ce dossier épineux, treize autres points de discorde, qui ne concernent pas toujours le réseau, comme la mutuelle des chauffeurs. «La direction s'assoit sur 10 ans d'accords entre employés et directions! Et ils prétendent qu'ils n'ont pas le choix, que c'est la nouvelle organisation et qu'on ne peut rien changer».
Et d'autres qui ont trait à l'organisation du travail des chauffeurs, comme la prise de service au dépôt et la suppression des relèves en ligne, que le syndicat estime désorganisantes.
Certains points soulevés par les chauffeurs pourraient toucher directement les usagers. Sur plusieurs portions, les temps de trajet calculés par Kéolis ont été réduits de plusieurs dizaines de minutes, assure la CGT. Par exemple, dès lundi, les chauffeurs devront parcours le trajet de l'ancienne ligne 1 en quarante minutes au lieu d'une heure auparavant.
Ces chiffres, issus d'études mais élaborés sans l'avis des chauffeurs, paraissent fantaisistes à Toufik Halaïmia. «On a des patrons qui débarquent de Lille et qui pensent comprendre comment monter un réseau à Amiens, regrette-il. Si on n'arrive pas à tenir ces temps de parcours, il y a deux solutions: soit la direction prend ses responsabilités et remanie les temps, mais elle ne pourra pas tenir ses promesses de fréquence. Soit ce sont les chauffeurs qui trinquent parce qu'ils accumulent le retard. Ils empiéteront sur leurs temps de pause et ils auront la mauvaise humeur des usagers.» Des perspectives peu encourageantes pour des chauffeurs exerçant déjà sous tension.
Le temps de pause, c'est l'un des autres points de discussion entre les salariés d'Amétis et la direction. Les pauses des chauffeurs seront réduites à 10 minutes, quand la CGT en demande 21, et se feront uniquement en fin de ligne. «A certains endroits, il y a tout juste une sanisette de chantier pour permettre au chauffeur de se soulager. Combien de temps ça peut tenir, ça ? Un coup de vent et c'est par terre!»
Sur ces quatorze points, des négociations ont déjà été menées entre Kéolis et la CGT Amétis. Celles du 31 décembre n'ont pas été satisfaisantes pour Toufik Halaïmia. Hier, tous les points étaient, à nouveau, à la discussion. Au moment où nous écrivons ces lignes, l'issue de la discussion ne nous est pas encore connue.
Les usagers pointent certains manquements
De son côté, Michel Vidal, président du comité des usagers des bus d'Amiens métropole, est plutôt optimiste. Le retour des Amiénois vers les bus métropolitains, il y croit: «Ce nouveau réseau s'adresse aussi à des usagers occasionnels. Ils vont peut-être gagner leur pari de ce côté-là», estime-t-il.
Néanmoins, ce réseau qu'il considère globalement «intelligent» peut recéler des défauts, que l'association a signalé à Kéolis dès le mois de juillet. «Il y a des dessertes d'écoles qui posent problème, comme à Saveuse» explique Michel Vidal, pointant un battement entre la rentrée des classes et les horaires de bus. «Par ailleurs, on voit que c'est un réseau où la marche à pied a une place importante», explique-t-il sans malice.
C'est aussi ce qui gène Nathalie Lavallard. Pour la présidente du Comité de quartier Saint-Honoré-Jeanne-d'Arc, le réseau va créer des déserts. C'est, en substance le contenu d'un courrier qu'elle a adressé à Thierry Bonté, vice président de la Métropole, délégué aux transports en communs.
La ligne de bus qui traverse son quartier n'ira plus jusqu'à la gare, le 7 janvier. Et la liaison menant à Vers-sur-Selle ne sera plus maintenue que le matin et le soir. «Les étudiants seront heureux d'apprendre qu'ils n'auront plus de bus pour aller jusqu'au campus, passée une certaine heure.» ironise-t-elle. Il leur faudra donc marcher pour rejoindre une ligne qui leur sera plus favorable.
«Que les gens qui n'ont pas d'autre moyen de mobilité ne soient pas laissés-pour-compte»
Nathalie Lavallard, candidate Nouveau centre (NC) aux dernières cantonales dans le canton Amiens Sud-Ouest, regrette aussi ces lignes express (X11 et X12) qui rejoignent l'hôpital, traversant son quartier sans s'arrêter. «Je comprends bien le principe d'une ligne express, se défend-elle, mais au lieu de trois arrêts rapprochés au centre-ville, on aurait pu prévoir un arrêt en périphérie.»
Autre critique, les fréquences de passage. La présidente du Comité Saint-Honoré ne mâche pas ses mots: «Mensonge», conclut-elle après avoir vérifié que les fréquences seraient inférieures à la desserte actuelle sur certains arrêts de sa zone, contrairement à ce qui est annoncé.
Les zones grises du nouveau plan, Michel Vidal, du comité des usagers, les voit aussi, et pas seulement au sud-ouest de la ville. «Entre la gare et la place du maréchal Joffre, par exemple, les concepteurs du réseau s'attendent à ce que les gens fassent le trajet à pied. Pourquoi pas, cela peut fonctionner. Il faut laisser le temps aux usagers de s'habituer à ce nouveau réseau. Mais nous serons attentifs à ce que les gens qui n'ont pas d'autre moyen de mobilité ne soient pas laissés-pour-compte. Ce sont eux que nous voulons défendre, avant de penser à ceux qui pourraient prendre le bus à la place de leur voiture.»
À l'heure actuelle, Michel Vidal et ses associés n'ont pas eu de réponse positive quant aux points qu'ils ont soulevés, la direction précisant que l'efficacité du nouveau réseau serait évaluée en septembre 2013.
La direction de Kéolis n'a souhaité répondre à aucune question ce jeudi 3 janvier, alors qu'avait lieu la réunion de concertation avec les syndicats. Ils ont fait savoir qu'ils communiqueraient peut-être vendredi 4 janvier.
À cause des congés, nous n'avons pas pu conclure d'un rendez-vous avec Thierry Bonté, vice-président de l'agglomération aux transports en communs.
Toufik Halaïmia a été rencontré mardi deux janvier, la veille de la seconde réunion avec la direction de Kéolis.