Dans un peu moins d'un mois, le 5 juillet, les cantines des écoles de la Ville d'Amiens passeront en régie publique. La quarantaine de salariés qui travaillent à la confection des repas des écoliers de la ville deviendront des agents municipaux (CDI de droit public). Jusqu'alors ils étaient employés par la société Sogeres, qui avait remporté la délégation de service public en 2008. Avant cette date, c'est Avenance, une autre société spécialisée dans la restauration collective qui détenait le marché.
Un marché non négligeable, puisqu'il s'élève à 4,5 millions d'euros, dont deux millions d'euros environ sont consacrés à l'approvisionnement en denrées alimentaires.
Si le passage en régie municipale changera le statut des salariés, en revanche il ne modifiera pas leur lieu de travail. Ils continueront d'exercer au sein de la cuisine centrale d'Amiens, située quartier Saint-Ladre. Dans cette cuisine, propriété de la Ville, arrivent les denrées alimentaires qui, travaillées, deviennent les repas servis dans les écoles de la ville (et dans le restaurant municipal Adrien-Fauga). Près de 7000 repas seraient servis chaque jour à Amiens.
Une délégation décidée depuis longtemps
Faire passer les cantines en régie publique était une promesse de campagne de la liste «Unis et solidaires», emmenée en 2008 par Gilles Demailly. «L'idée c'est d'avoir une meilleure maîtrise, d'améliorer la qualité des repas, d'avoir plus de flexibilité dans le choix des menus et de travailler avec des producteurs locaux», explique Marion Lepresle, adjointe au maire en charge de l'enfance, l'éducation et la restauration scolaire.
Nous sommes en 2013. Pourquoi avoir attendu si longtemps pour passer à la régie ? «Lorsque l'actuelle majorité a repris la mairie le 2008, l'ancienne municipalité avait déjà décidé le principe d'une délégation de service public», indique Marion Lepresle. En effet, dès octobre 2007 une consultation avait été lancée afin de trouver le délégataire qui prendrait les rênes de la restauration scolaire et municipale en septembre 2008. «Nous étions dans l'impossibilité technique de stopper la procédure engagée», se justifiait alors l'adjointe au maire lors d'un conseil municipal.
Marion Lepresle, adjointe au maire en charge de la restauration scolaire.
La délégation de service public (DSP) était donc actée mais il restait quelques marges de manœuvres à la nouvelle municipalité: choisir le délégataire (ce fut Sogeres), la durée du contrat et le cahier des charges.
«Pour la durée, on a choisi une DSP de quatre ans pour avoir le temps de s'organiser, de réfléchir à la reprise en régie, précise l'adjointe. Avant notre arrivée, il n'y avait même plus de service dédié à la restauration scolaire à la Mairie, c'était le service des Finances qui s'en occupait.»
Concernant le cahier des charges que devait suivre le délégataire, «nous avons demandé deux produits bio par jour – dont le pain, l'absence d'OGM, un repas végétarien par mois. Nous avons aussi posé des contraintes en terme d'utilisation des produits lessiviels, pris en compte le développement durable, etc.»
Du côté de l'entreprise Sogeres, on confirme que la municipalité demandait davantage de bio. Mais aussi de produits locaux. «C'est une habitude pour nous!, s'enorgueillit Laurent Pasteur, directeur régional de Sogeres. Nous ne nous approvisionnons pas dans une centrale d'achat, nous avons des partenariats avec des producteurs nationaux mais aussi locaux.»
Donc le délégataire avait déjà quelques réseaux de circuits courts destinés aux cantines amiénoises. Ce ne sera donc pas une innovation de la régie municipale. «En fait, Sogeres avait huit partenaires dans la Somme dont quatre pour les salades et deux pour les fruits rouges», tempère Éric Lenoël, chef du service Vie scolaire à la Ville d'Amiens.
Pas de discrimination sur la proximité
L'objectif est désormais que les producteurs locaux, c'est-à-dire situés dans un rayon de 200 kilomètres, développent leurs marchés en direction des besoins des cantines amiénoises. Mais comment faire? Car pour l'approvisionnement des denrées, les collectivités sont soumises aux règles strictes des marchés publics et une «discrimination positive» à l'égard des producteurs picards est interdite. Pas question donc de privilégier tel ou tel producteur parce qu'il se trouve à proximité.
«La discrimination sur la proximité n'est pas possible», confirme Marie Deshayes, chargée de mission circuits courts à la Chambre d'Agriculture de la Somme. Mais il serait possible de jouer sur d'autres critères pour, au final, favoriser le développement des petits producteurs et non pas des industriels. «Il est possible d'introduire, lors du lancement du marché public, des critères de qualité, la possibilité de vente directe et de rencontres entre le producteur et le consommateur, ou encore la nécessité d'être certifié HVE.» Cette certification Haute valeur environnementale (HVE) est justement promue par les Chambres d'agriculture de Picardie auprès des producteurs de la région.
La cuisine centrale d'Amiens, située rue Titien.
Les circuits courts ne sont pas particulièrement développés dans la Somme. Deux raisons à cela, d'après Marie Deshayes, l'une historique, l'autre démographique. «Historiquement, ce sont plutôt les unités industrielles qui ont été privilégiées dans le département, et puis les faibles densités de population de certaines zones comme le Santerre ne s'y prêtent pas particulièrement.»
La Chambre d'agriculture de la Somme travaille avec la Ville d'Amiens dans son projet d'approvisionnement local. Une réunion entre les deux parties aura notamment lieu en juillet. «Il n'y a aucun frein au développement des circuits courts, assure Marie Deshayes. Le tout est de bien s'y prendre, de bien préparer les marchés que l'on lance, de s'organiser à l'avance.»
«Un gros boulot administratif!, sourit Éric Lenoël, du service Vie scolaire d'Amiens. On doit mettre en place tout un réseau, il n'y avait rien avant. Notre rôle est de créer une certaine dynamique. Là, nos marchés sont prêts mais on doit encore travailler l'allotissement pour que les producteurs locaux puissent répondre.» Et, visiblement, ça prend du temps.
Un temps que la Ville a voulu prendre en confiant, pour un an supplémentaire, l'approvisionnement des denrées alimentaires à une entreprise délégataire. Ce marché de près de 2 millions d'euros a été remporté par Sogeres. Mais environ 10% du volume total d'approvisionnement restera à la discrétion de la Ville: «Ça nous permet de faire des tests. On voit si les enfants trouvent ça bon», précise Marion Lepresle.
Former le personnel
Il ne faut cependant pas s'attendre à ce que, à l'avenir, tous les plats servis dans les cantines amiénoises proviennent de denrées issues des circuits courts. Avec la meilleure volonté du monde, il sera toujours difficile de faire pousser des oranges en Picardie, par exemple. La production locale n'entrera que pour partie dans les menus. Dans quelle proportion ? La municipalité ne s'avance sur aucun chiffre pour l'instant. «Les meilleurs dans le genre c'est à Valence (Drôme), ils ont 90% de denrées locales», indique Marion Lepresle. Mais la situation dans cette région n'est pas comparable à la Picardie. En Rhône-Alpes, un exploitant sur trois vend en circuit court, estime le ministère de l'Agriculture. «À Rouen, en revanche, la situation est plus comparable à la nôtre. Et ils ont 25% environ d'approvisionnement local.»
Quoiqu'il en soit l'augmentation progressive d'aliments provenant de producteurs locaux va entraîner bon nombre de changements pour les salariés de la cuisine centrale d'Amiens. «Pour la volaille, si on ne demande que des blancs de poulets, seuls les industriels pourront répondre. Un producteur local va nous vendre son poulet en entier. Il faudra donc former le personnel pour qu'il puisse travailler l'ensemble de l'animal, changer l'organisation du travail», explique Éric Lenoël.
D'autres contraintes, plus techniques, sont déjà en vue. «Jusqu'alors Sogeres reçoit les carottes râpées en sachets, et il n'y qu'à les ouvrir, raconte Marion Lepresle. Demain, si on achète des carottes, il faudra les nettoyer, les éplucher, les râper. Il nous faudra construire une légumerie plus grande que celle que l'on a actuellement.»
Dans un mois, la régie municipale sera en place. On sera début juillet et l'école sera finie. Mais les néo-agents municipaux auront l'été pour roder leur nouvelle organisation dans le giron de la Ville. Car si l'école est finie, les centres de loisirs commenceront leurs activités. Et les activités, ça creuse.
J'ai rencontré Marion Lepresle et Éric Lenoël lundi matin en mairie. J'ai recontacté ce dernier le lendemain par téléphone. Mardi, j'ai également joint par téléphone le responsable de Sogeres, puis j'ai pu m'entretenir avec Marie Deshayes en fin d'après-midi à la Chambre d'Agriculture de la Somme.