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Amiens: le très haut débit prend son temps

Le 28 May 2013
Enquête commentaires
Par Fabien Dorémus

«L'arrivée du très haut débit, c'est aussi important que l'arrivée de l'électricité et de l'eau courante il y a un siècle.» Brunot Janet, le directeur des relations avec les collectivités locales pour le groupe Orange-France Télécom, n'est pas peu fier de présenter l'une des premières armoires optiques d'Amiens. Il faut dire que le très haut débit, via la fibre optique, permettra en théorie d'atteindre des débits internet de près 200 mégabits par seconde. Ce qui signifie qu'il sera possible de télécharger un film (700 Mo) en moins de trente secondes.



L'armoire optique inaugurée le 23 mai, rue Millevoye à Amiens.

Ces armoires optiques, installées sur la voie publique, sont des «points de mutualisation». À partir de ces endroits, les différents fournisseurs d'accès à internet (FAI) pourront finir de relier leurs clients au réseau. Car si Orange-France Télécom prend à sa charge l'essentiel du déploiement de la fibre optique, les derniers mètres de raccordement, jusqu'à l'intérieur du domicile des clients, sera du ressort des FAI. C'est à ces fournisseurs (SFR, Bouygues, Orange, Cityplay, etc.) que les clients paieront l'abonnement au réseau de fibre optique. Les FAI, quant à eux, paieront chaque année à Orange une somme d'argent correspondant à leur utilisation du réseau.

Mais dans certains cas, les FAI – aussi appelés «opérateurs de service» – ne se pressent pas à la porte du très haut débit. «À Abbeville, seul Orange s'est porté candidat pour jouer le rôle d'opérateur de service», indique Olivier Girault, délégué régional de Picardie pour Orange-France Télécom. À Amiens, l'avenir nous dira si la concurrence fera rage. Le réseau devrait être opérationnel au troisième ou quatrième trimestre 2013, mais seulement en centre-ville et dans les quartiers Henriville, Beauvais, la Hotoie, Saint-Roch et Saint-Leu.

Dans un deuxième temps, probablement en 2014, les quartiers Amiens-Nord, Gare-La-Vallée et Renancourt pourront à leur tour bénéficier des 200 mégabits/s promis.



(de g. à dr.) Olivier Girault, Brunot Janet (Orange), Gilles Demailly et Serge Raïs.

À Abbeville, les premiers clients du très haut débit ont été raccordés le 30 avril dernier. Amiens est visiblement à la traîne. «Je ne cherche pas à être le premier, l'important est que les choses avancent», expliquait le maire d'Amiens Gilles Demailly pendant le point presse organisé le 23 mai avec les représentants d'Orange-France Télécom.

Les raisons du retard

Gilles Demailly profitait de l'occasion pour rappeler que le très haut débit existe déjà à Amiens. Les bâtiments publics (écoles, hôpitaux, etc.) bénéficient du réseau installé par le syndicat Somme numérique, qui rassemble vingt-six communautés de communes dans le département. «Plus de 150 sites publics sont déjà équipés», précise Jean-François Vasseur, président de Somme numérique et vice-président d'Amiens métropole.



Gilles Demailly et Brunot Janet, à l'Hôtel de Ville le 23 mai.

Ajoutons qu'un autre réseau très haut débit, celui de Cityplay (ex-France cité vision), existe aussi à Amiens. Un réseau qui combine fibre optique et réseau cuivre, installé par Cityplay. Ce réseau, à la différence de celui actuellement installé par Orange, ne permet pas à d'autres fournisseurs d'accès de se brancher : les clients qui utilisent le réseau de Cityplay payent un abonnement à Cityplay.

Mais reste une question en suspens : pourquoi Amiens ne bénéficiera-t-elle du nouveau réseau de fibre optique qu'à l'automne 2013 ? Alors que depuis la seconde moitié de l'année 2011, Orange connaît les travaux qui l'attendent!

Rappelons qu'en juin 2010, le législateur a décidé de réserver aux opérateurs privés – Orange, SFR ou Bouygues... – l'installation du très haut débit dans les zones où la densité de population est la plus élevée. Ces zones, plus rentables, sont baptisées AMII (Appel à manifestation des intentions d'investissement).

Les zones les moins rentables sont quant à elles laissées à l'initiative publique, le syndicat Somme numérique, en ce qui nous concerne. Dans le département, c'est donc Orange qui doit s'occuper des deux zones AMII que sont Amiens métropole et l'Abbevillois. Dès l'été 2011, Orange s'était engagée à couvrir ces territoires.

Les «bobos», pas la priorité

«Il faudra 181 armoires optiques à Amiens pour tout couvrir, et il a fallu deux ans à Orange pour poser les six premières, raille Jean-François Vasseur, le président de Somme numérique. On aurait pu faire aussi bien qu'eux et pour moins cher.»

Ce qui étonne aussi le président de Somme numérique, c'est l'emplacement des premières armoires optiques. Orange a choisi de commencer ses travaux par le centre-ville et les premières armoires viennent de voir le jour dans le quartier bourgeois d'Henriville: «Le débit est satisfaisant en centre-ville et ce n'est pas à Henriville que le public a le plus d'appétence pour le très haut débit : les bobos téléchargent moins, jouent moins en réseau, etc. Par ailleurs ce sont les secteurs où France cité vision est le plus implanté ; le taux de pénétration va être compliqué pour Orange. À mon sens, c'est une erreur commerciale.»

Chez Orange, on justifie les choix d'implantation par des contraintes techniques. «Nos équipes de géomarketing ont défini ces zones en fonction du potentiel économique mais nous dépendons également de l'architecture des télécoms : nous devons suivre le réseau à partir de certains nœuds», indique Olivier Girault, le délégué régional.

«Le plus dur est derrière nous»

Le choix de ces quartiers, «c'est une demande de France Télécom», confirme Serge Raïs, adjoint au maire d'Amiens en charge de la voirie. «Nous avons accepté car c'est le secteur le plus difficile à équiper, le plus dense. Maintenant le plus dur est derrière nous.» Une partie de ce secteur est en effet classée en zone Architecte des bâtiments de France (ABF). Ce qui veut dire qu'un agent de l'État doit donner son feu vert avant toute installation d'armoire optique, afin de protéger le patrimoine.

«Il y avait des points de blocage entre les services de la Ville et Orange, explique Serge Raïs. Si on les avait écoutés ils auraient mis leurs armoires n'importe où, là où ça les arrangeait techniquement. J'ai parcouru le secteur avec Orange pour leur montrer, ça a pris un certain temps.»
Mais au final, les négociations ont porté leurs fruits : «Ils ont accepté de mettre des armoires dans les parkings souterrains. C'est une première en France ! Et ce n'est pas très rentable pour eux car ça nécessite de tirer des dizaines, parfois des centaines, de mètres de câbles supplémentaires.» Une convention va bientôt être passée entre la Ville et l'entreprise Vinci, qui gère les parking souterrains.

Les allers retours entre les services de la Ville et Orange, pour se mettre d'accord sur l'emplacement des armoires, auraient donc engendré le délai que l'on connaît.

La métropole totalement couverte en 2020 ?

À l'automne, toutes les armoires du secteur n°1 (centre-ville, Henriville, Beauvais, la Hotoie, Saint-Roch et Saint-Leu) devraient être posées et la commercialisation commencera. Le second secteur (Amiens-Nord, Gare-La-Vallée, Renancourt) sera alors mis en chantier. Orange s'est engagé à installer la fibre optique dans tout Amiens en cinq ans. Mais son engagement concerne aussi toute la métropole. «La métropole sera couverte à 100% en 2020», assure Olivier Girault.

Mais la promesse ne convainc pas tout le monde: «Orange ne fera jamais la totalité de la métropole, craint Jean-François Vasseur. Ils vont faire les zones les plus denses comme Longueau, Rivery, etc. Mais je ne pense pas qu'ils vont venir à Épécamps et ses neuf habitants. Vers qui on va alors se tourner pour assurer l'égalité des habitants ? Vers Somme numérique, pour finir le boulot !» Le problème, pour le président de Somme numérique, est qu'il n'est pas prévu de sanction si Orange ne tient pas ses engagements.

«Notre investissement [sur les zones AMII, ndlr] représente, nationalement, plus de deux milliards d'euros, rétorque Olivier Girault, d'Orange-France Télécom. Quand il y a zéro participation de l'État, il est difficile d'exiger des contreparties.»

Dans l'œil du Télescope

J'ai assisté jeudi 23 mai à l'inauguration de l'armoire optique, rue Millevoye à Amiens, puis aux discours donnés à l'Hôtel de Ville. J'ai contacté ensuite par téléphone, entre jeudi et lundi, le délégué régional d'Orange, le président de Somme numérique, l'adjoint au maire en charge de la voirie, et un responsable de Cityplay.

C'est en travaillant sur ce sujet que j'ai eu vent du conflit politique qui animait le syndicat Somme numérique ; ce qui m'a amené à écrire ce second article: Olivier Jardé débouté par le tribunal administratif.