Eric Vève, président du syndicats de transports de Caen, et Thierry Bonté, vice-président d'Amiens métropole aux transports.
Mardi dernier, Thierry Bonté, vice-président aux transports d'Amiens métropole signait une convention avec Éric Vève, président du syndicat de transports de Caen Viacités. Rien de caché, rien de secret, au contraire. Toute la presse était invitée pour assister à la signature. Il faut dire que, par l'accord qui lie ces deux agglomérations qui comptent se doter d'un tramway à l'horizon 2018-2019, les économies dans les achats pourraient être substantielles, 15% minimum selon les élus.
L'idée vient de Brest et Dijon, qui ont inauguré en France la formule du groupement d'achat, en 2009. Les deux villes auraient économisé 600 000 euros sur chaque rame de tramway achetée grâce à leur commande jointe, soit plusieurs millions d'économie totale.
L'idée est louable. Mais la liste "Rassemblés pour agir" (UMP-UDI) a eu connaissance de la convention signée entre les partenaires et surtout d'un alinéa qui concerne la résiliation de la convention. «En cas de résiliation de la présente convention à l'initiative d'un des membres, ce dernier supportera le préjudice subi par l'autre membre ainsi que tout ou partie des sommes éventuelles pouvant être réclamées par le cocontractant retenu».
La promesse de Gilles Demailly: rien d'irréversible avant les élections
Or, les élus de cette liste avaient eu l'assurance, par le président de la Métropole Gilles Demailly, que rien ne serait fait d'irréversible en faveur du tramway avant les élections municipales. Pour que l'équipe suivante puisse amener son propre projet. Avec ou sans tram.
Avec cette convention d'achats groupés des rames le maire est-il revenu sur ses promesses? Oui, pour l'opposition. C'est Jean-Christophe Loric (Modem) qui a dégainé le premier.
Et Benoît Mercuzot, actuellement maire (UMP) de Dury et numéro 4 de la liste de Brigitte Fouré, de renchérir hier midi dans un communiqué: «M. Bonté vient de signer un accord électoraliste avec le syndicat mixte chargé des transports de Caen qui engage les impôts des Amiénois: si Amiens se retire du projet suite aux élections municipales, les contribuables amiénois devront payer de 3 à 10 millions d'euros de dédommagement correspondant au montant de la ristourne attendu par la Ville de Caen du fait de cette convention».
Confusion des conventions
Mais la subtilité, c'est que la convention signée mardi dernier ne concerne pas l'achat des rames de tramway. Mais deux points bien précis: la «définition du design du matériel roulant» et une «mission d'expertise relative à la sécurité des transports publics guidés».
En clair? Il y a tout d'abord le design des rames. Un constructeur va produire des rames qui correspondront, dans les finitions, à un design commandé par le client. Il faut donc faire appel à un cabinet pour travailler cette question esthétique. Et aussi pour, sur une base de design commun, personnaliser les tramway pour chaque ville «par rapport à l'identité, aux valeurs respectives des territoires», comme le précisait Thierry Bonté.
Le second point réglé par cette convention, c'est une expertise qui correspond aux aménagements de sécurité du tram, par exemple «la conception des carrefours, les îlots centraux, les priorités du tramway, explique Béatrice Gasser, directrice du mandat d'Amiens métropole chez Egis rail. Nous devons piloter la constitution des dossiers de sécurité et l'expert se prononcera sur des principes identiques pour les deux projets.»
Combien coûtent ces deux études? Sont-elles comprises dans le coût global du tramway annoncé par Amiens métropole? «Ces budgets ont bien été identifiés dans la somme de 200 millions d'euros, mais les règles d'un appel d'offre font que je ne peux pas divulguer plus précisément les coûts prévus», explique Béatrice Gasser. Néanmoins, si on lui demande quelques précisions, elle propose une fourchette: «ce sont deux budgets à moins d'un million d'euros».
En cas de retrait d'Amiens métropole, le dédommagement versé à Caen-Viacités resterait en-dessous de cette somme, aussi défavorables que soient les marchés signés. Il faudrait même les calculer sur les rabais qui pourraient être accordés pour deux commandes, et qui seraient perdus si l'une des deux villes se retirait. On est donc loin de la dizaine de millions d'euros dénoncés par la liste "Rassemblés pour agir", mais tout de même.
À cette somme «engagée», on pourrait ajouter les sondages géotechniques effectués sur le tronçon nord du tracé, soit 177 000 euros, que les techniciens de la métropole affirment utiles, dans l'absolu, pour évaluer la solidité de l'axe routier.
Début janvier, des forages géotechniques ont été effectués sur la partie nord du tracé pour évaluer la densité du sol, en prévision du tramway.
«Ces conventions portent sur des marchés de faible importance, mais nous en avions besoin par rapport au maître d’œuvre qui sera choisi en juin, et qui aura besoin d'études de design», réagissait Thierry Bonté, hier soir, surpris d'être interrogé sur la question.
«Évidemment que nous n'engagerons pas de convention sur l'achat des rames de tramway avant l'élection! Ce genre de débat n'est pas à la hauteur de l'enjeu, j'aimerais avoir en face de moi des gens de conviction, qui débattent du projet, pas des gens qui ergotent». L'élu rappelait, par ailleurs, que l'argent des Amiénois n'est pas directement concerné par le tramway, puisque le projet sera financé sur le budget annexe «transport» d'Amiens métropole, alimenté non par l'impôt des particuliers, mais par le versement transport des entreprises (voir notre article).
Benoît Mercuzot promet de chercher la faille
Joint par téléphone avec les détails supplémentaires des coûts impliqués dans la convention, Benoît Mercuzot reste prudent. Mais il continue de penser que la signature relève de la manœuvre de campagne électorale. «On est en train de nous laisser croire que tout roule dans ce projet: on fait des forages qui auraient pu attendre, on nous dit qu'au ministère le dossier est au-dessus de la pile... C'est de la communication.»
«Nous allons étudier les délibérations d'Amiens métropole sur la signature de convention, et nous allons tenter d'en savoir plus sur les coûts engagés. Je comprends que l'appel d'offre pose un problème de confidentialité, mais si les services de la Métropole ont des informations, les élus comme Brigitte Fouré devraient pouvoir les connaître aussi. Nous allons faire le travail d'éclaircissement, et s'il y a quelque chose, nous porterons l'affaire au tribunal administratif.»
Mise à jour vendredi 7 février 16h20: suite à des précisions de la part des services de la métropole, ajout de la phrase: «Il faudrait même les calculer sur les rabais qui pourraient être accordés pour deux commandes, et qui seraient perdus si l'une des deux villes se retirait».