Attention soutenue des internes pour la première journée de cours
Kite-surf sur la côte, virée au musée mémorial de Compiègne, balades en baie de Somme... La petite vidéo de l'office du tourisme de Picardie détone dans l'amphithéâtre de médecine, plutôt spécialisé clichés d'anatomo-pathologie ou formules brutes de biochimie.
Les 192 étudiants ne s'y attendaient peut-être pas, à cette matinée de bienvenue sur le thème «notre région a du talent.» Mireille Tiquet, du conseil régional de Picardie le soulignait avec fierté dans son discours: la Picardie est pionnière depuis 2005 dans l'accueil des nouveaux internes. En collaboration avec l'Agence régionale de santé (ARS) depuis 2010, les deux instances déroulent, pour une journée, le tapis rouge aux nouveaux internes de la faculté de médecine.
Il faut dire que la région est particulièrement mal placée dans les indicateurs annoncés par l'ARS: vingt-deuxième région de France en terme de densité médicale. Bonne dernière métropolitaine. Du coup, les acteurs de la santé se mobilisent pour vendre la région aux internes.
Entre deux collations offertes par l'ARS, le doyen et la direction du CHU expliquent à quel point Amiens est idéale pour la formation, et un grand pôle médical en devenir. Le matin, après la chaîne d'inscription, les étudiants ont eu droit au petit-déjeuner: viennoiseries, jus d'orange, etc. Buffet à midi, goûter picard à la bière à 16h30, puis dîner au carré de la République.
Mais l'essentiel est ailleurs: Région et ARS ont présenté aux jeunes diplômés du concours de l'internat des outils financiers pour inciter à l'installation des médecins dans des zones en déficit.
Un contrat pour repeupler les déserts médicaux
L'Agence régionale de la santé (ARS) est souvent considérée comme une "préfecture" pour les sujets de santé. En relation avec tous les acteurs de terrain, elle applique les politiques nationales en terme de santé.
Le problème des déserts médicaux, les ARS de France espèrent bien le régler avec leur CESP ou Contrat d'engagement de service public. Mais qu'est-ce? Une aide de 1200 euros, bruts et mensuels, contre laquelle l'étudiant s'engage à exercer, après ses études, dans une des zones sensibles définies par les ARS et le conseil de l'ordre des médecins (entre autres). Une aide à percevoir durant la durée des études de médecine. Depuis la seconde année de premier cycle (PCEM 2) jusqu'à l'installation.
Chaque demande est étudiée sur dossier. Si l'interne projette de s'installer dans une zone rurale ou peu fournie en médecin, alors il a toutes les chances d'attirer l'attention de l'ARS. Comme le CESP est un dispositif national, l'étudiant peut finalement se décider pour une zone reculée du centre de la France ou de n'importe où ailleurs.
En revanche, il sera prioritaire face à un autre bénéficiaire s'il souhaite s'installer dans un désert médical situé dans sa région d'étude. S'il ne remplit pas le contrat, il est invité à rembourser une partie de son allocation d'étude.
En ce moment, 33 contrats courent pour des étudiants picards, pour un budget total de 500 000 euros. L'ARS n'en est qu'à la troisième année de CESP. C'est un médecin anesthésiste, diplômé en mai 2013, qui devrait être le premier bénéficiaire sortant. Autant dire que l'on n'a pas encore beaucoup de recul sur le dispositif.
Du côté du Conseil régional, on aime le rappeler: la santé ne fait pas partie de leurs domaines de compétence. Cette collectivité a pourtant prévu beaucoup d'aides au développement des activités de santé. Vers les laboratoires de recherche médicale, vers l'installation des maisons de santé pluri-disciplinaires, des aides financières pour les déplacements des internes stagiaires en milieu rural...
Et cette bourse «de fidélisation» à destination des internes «qui s'engagent à exercer en milieu rural», comme la présente Mireille Tiquet, la vice-présidente du Conseil régional.
Le principe est le même que celui du CESP: contre une bourse qui couvre une durée d'études, l'interne s'engage à travailler en zones sensibles définies par l'ARS pour une durée au minimum égale. Qu'elles soient rurales et reculées, ou urbaines et peu pourvues en médecins, comme Amiens Nord. Mais cette fois, obligatoirement en Picardie. Avec une bourse qui peut s'élever à 400 euros par mois.
Le dispositif aura-t-il un impact? Devant les étudiants, le représentant du conseil de l'Ordre des médecins, Walter Vorheur, précise que 80% des internes s'installent dans leur région de formation. La situation ne paraît pas si catastrophique.
Mais en interrogeant les représentants des associations étudiantes, on en apprend un peu plus de la situation particulière d'Amiens. Trop près de Paris, la faculté est investie par des étudiants franciliens n'ayant pas eu d'assez bons résultats pour la spécialité de leur choix dans un des hôpitaux de la capitale. Ceux-là retourneront probablement y travailler, leur diplôme en poche. Vidant la Picardie de ses postes de spécialistes.
Une région qui sait garder ses étudiants?
Pourtant il y a quelques bonnes nouvelles: de nombreux internes en médecine générale de la faculté sont, cette année encore, amiénois. Près de la moitié des 89 postes pourvus. Pauline Pierre, présidente du Sapir, l'association des internes de médecine générale, met cela au crédit du doyen de la fac. «Daniel Le Gars est très positif vis-à-vis de la médecine générale: les externes qui ont envie de suivre cette spécialité y sont fortement incités. Ce n'est pas le cas des fac parisiennes où c'est quasiment une honte de finir généraliste.»
Et sur les 192 nouveaux internes de première année, c'en sont, au total, 89 qui avaient effectué leur externat sur les bancs amiénois. Peut-être que la faculté sait, tout de même, garder les siens.
C'est le cas d'Alexis, Amiénois de souche. Il a décidé d'étudié la médecine générale sur les mêmes bancs, après son concours de l'internat. D'ailleurs, il exercera probablement dans le coin.
Il avait déjà entendu parler du CESP, avait vu des affichettes dans les couloirs de l'université. «Ça a l'air intéressant, mais ça reste flou quant aux modalités. Et puis cet engagement, ça fait un peu peur» estime-t-il, interrogé après le séminaire d'accueil. À choisir, le dispositif incitatif de la région lui paraît moins contraignant.
Pour Anaïs et Pauline, la rémunération ne vaut pas l'engagement.
Un peu plus loin, profitant des boissons du «goûter picard» offert par l'ARS, Pauline et Anaïs partagent les mêmes doutes. La première vient de Paris. Elle sait déjà qu'elle préférerait retourner travailler là-bas et, par ailleurs elle n'est pas seule à décider de sa future installation: son petit ami aura aussi des contraintes.
Anaïs vient de la fac de Lille. «Cela ne me dérangerait pas d'aller travailler en zone rurale, ce n'est pas un problème. Je n'ai aucune idée préconçue de l'endroit où je vais exercer. Mais j'ai peur que ce soit trop astreignant». Pour elle, le CESP serait moins effrayant: il laisse le choix entre plusieurs régions.
Le côté financier? Les étudiants interrogés trouvent cela positif, mais pour aucun cela ne paraît déterminant. Les internes, de quelque spécialité, sont indemnisés 1300 euros net par mois, sans les gardes.
Un solde qui s'élève à 1600 euros en deuxième année et à 1800 euros en troisième année, d'après Pauline Pierre, de l'association des internes de médecine générale.
D'après l'ARS, 6 dossiers sont déjà en cours parmi les internes de 2012. S'ils trouvent des candidats pour toutes leurs dotations, alors ils pourront peut-être profiter de crédits que d'autres ARS françaises n'auront pas utilisés. Aux dires des représentants de l'ARS Picardie, toutes les agences ne font pas autant de lobbying auprès des étudiants, et peu d'entre elles organisent ce séminaire de bienvenue.
Les message est-il passé? Il restera aux internes une documentation complète, s'ils ont le temps de l'étudier.
J'ai pu récupérer les témoignages, ainsi que toutes les explications concernant les dispositifs par Mme Mireille Tiquet et les représentants de l'ARS lors de la journée d'accueil des internes, le jeudi 18 octobre.