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Allocations: un petit pas pour la solidarité nationale

Le 08 August 2013

Quinze millions d'euros. C'est peut-être le montant que le conseil général de la Somme va pouvoir économiser en 2014 et en 2015. Il faut préciser «peut-être» car les services du Département n'ont pas encore eu le temps de faire précisément les calculs. Mais des économies sont assurées.

Comment ? Grâce à l'accord signé le 16 juillet dernier entre l'État et l'Association des départements de France, organisation représentative des conseils généraux du pays. Cet accord prévoit que l'État finance un peu mieux les allocations individuelles de solidarité qui sont sous la responsabilité des conseils généraux. Ces allocations sont au nombre de trois: le Revenu de solidarité active (RSA), l'Allocation personnalisée d'autonomie (APA) destinée aux personnes âgées, et la Prestation de compensation du handicap (PCH).

Dans la Somme, près de 30 000 personnes bénéficient de ces aides. Leur nombre n'a cessé d'augmenter ces dernières années. Rien que pour le RSA, le nombre de bénéficiaires samariens s'est accru de 18% entre 2009 et 2012.

Précisons que, sur le graphique ci-dessus, sont représentés l'ensemble des bénéficiaires du RSA («socle» et «activité»). Or, le Département ne finance que le RSA «socle», celui dont bénéficient les personnes qui n'ont aucune activité salariée. Ce RSA «socle» est en très grande majorité (86,5%) celui perçu par les bénéficiaires du RSA dans la Somme.

Besoin de pérenniser le financement

Le nombre de bénéficiaires d'allocations de solidarité augmente en continu. La pérennisation du financement de ces dispositifs est donc de première importance. C'était justement l'objet de l'accord du 16 juillet, signé par le Premier ministre Jean-Marc Ayrault et le président de l'Association des départements de France (ADF) Claudy Lebreton. Comment? L'accord prévoit deux nouvelles sources de revenu pour le Département.

Deux nouvelles sources de revenu pour le Département

Premièrement, les Départements pourront mobiliser l'argent en provenance des «frais de gestion de la taxe sur le foncier bâti», jusqu'alors perçu par l’État. Deuxièmement, les conseils généraux seront autorisés à augmenter un impôt payé par tout ménage ou toute entreprise faisant l'acquisition d'un bien immobilier: les «droits de mutation à titre onéreux» (DMTO). Actuellement le taux qui s'applique aux transactions immobilières est plafonné à 3,8%. En 2014 et 2015 (puisque l'accord ne concerne que ces années), les DMTO pourront s'élever à 4,5%.

Qu'est-ce que tout cela va changer? Pour comprendre, penchons-nous brièvement sur le financement des allocations de solidarité (RSA, APA et PCH). C'est le Conseil général qui verse les aides mais l'État compense une partie de la dépense. En 2012 dans la Somme, sur une dépense totale d'environ 155 millions d'euros, l'État a compensé 97 millions. Résultat: le conseil général de la Somme a dû trouver 59 millions d'euros pour assurer le versement de ces aides.

Cette situation de 2012 n'est pas nouvelle. Mais elle s'est aggravée au fil des ans. «En 2003 la PCH était compensée à 50% par l'État, aujourd'hui ce n'est plus que 35%, c'est là que le bât blesse, explique Christian Manable, président du conseil général de la Somme. Le département est confronté à une hausse des dépenses sociales alors que les recettes [compensations de l'État, ndlr] sont en baisse.»

Trois nouvelles allocations en dix ans

Les trois allocations de solidarité (RSA, APA, PCH) ont vu le jour ces dix dernières années. En 2002 pour l'APA (destinée aux personnes âgées), en 2005 pour la PCH (personnes en situation de handicap) et en 2008 pour le RSA (précaires). «Bien sûr, la création de la PCH a été une bonne chose, tout comme le RSA qui concerne davantage d'allocataires que le RMI, explique Maryline Vinclaire, directrice générale adjointe des Solidarités au Département. Mais savoir comment on finance, c'est le cœur du débat.»

Objectif : la solidarité nationale

Pour Christian Manable, la chose est entendue: la solidarité doit être financée nationalement, donc par l'État, «comme le prévoyait le programme du Conseil national de la Résistance». Le recours à un financement national éviterait les disparités entre départements riches et pauvres. Or, actuellement «tous les Français ne sont pas traités de la même façon, ce n'est pas normal. Il y a rupture du principe d'égalité républicaine. D'où le combat mené par l'ADF.»

L'Association des départements de France (ADF), un «lobby très puissant», tente depuis dix ans de convaincre l'État de se réengager financièrement. Sans succès, avant l'accord du 16 juillet. «On avait l'impression que le gouvernement précédent était autiste, il ne répondait pas à l'ADF alors que les dépenses ne cessaient d'augmenter», indique Christian Manable. «Avant l'accord, la situation de blocage était telle que certains départements avaient réduit leurs dépenses d'investissement, précise Maryline Vinclaire. Ils mettaient parfois fin à des actions d'insertion pour les bénéficiaires du RSA ou baissaient le montant de l'APA.»



Christian Manable, président du conseil général de la Somme.

Pour le président du conseil général de la Somme, le présent accord n'est pas à la hauteur des espérances mais c'est un premier pas. «Avant, la droite ignorait le problème, là on a un effort de solidarité nationale et des mesures concrètes.»

Ces mesures concrètes pourraient permettre au Département de récolter une quinzaine de millions d'euros. «Les frais de gestion [de la taxe sur le foncier bâti, ndlr] étaient jusqu'alors affectés à l'État, explique Christian Manable. Avec l'accord, ils vont être affectés aux départements. Dans la Somme, on peut en espérer 8 millions d'euros, sous réserve des critères de répartition qui vont être adoptés.»

Droits de mutation en hausse mais volume de transactions en baisse

Grâce à l'accord du 16 juillet, les Départements pourront également augmenter les droits de mutation (impôt sur l'achat de biens immobiliers) de 3,8% à 4,5% de la valeur des biens. Mais ce ne sera pas obligatoire. Le Conseil général va-t-il saisir la balle au bond? «Ce sera une décision politique, on va étudier la question, mais on va sûrement augmenter, oui», indique Christian Manable.

D'après les premiers calculs des services techniques du Département, l'augmentation à 4,5% des droits de mutations pourrait rapporter 6,5 millions d'euros. Mais seulement si l'on se base sur les volumes d'achats immobiliers de l'année 2012 dans la Somme. Car en 2013, les droits de mutations sont en très forte baisse. La faute à une chute des ventes immobilières. Ainsi, le premier trimestre de cette année a vu une chute de 30% des droits de mutation par rapport au premier trimestre 2012. «Sur l'ensemble de l'année 2013, la baisse devrait être de 15 ou 20%», détaille Christian Manable. En 2012, les droits de mutation avaient rapporté 38 millions d'euros au Département.

L'accord est-il autre chose qu'une rustine ?

Pour 2013, l'État avait déjà exceptionnellement mis à disposition des Départements un nouveau fonds de compensation. Histoire d'aider un peu. La Somme avait ainsi pu récolter 1,6 million d'euros. Une autre aide exceptionnelle pourrait arriver d'ici la fin de l'année. «C'est un ballon d'oxygène, mais on ne peut pas être sur le fil du rasoir à chaque budget», explique Christian Manable.

L'accord du 16 juillet veut donc être autre chose qu'un simple ballon d'oxygène. Pourtant, il ne satisfait pas vraiment l'Association des départements de France. «Entre les revendications et ce qu'on a obtenu, il y a un fossé, mais c'est le mieux qu'on a eu depuis dix ans», relate Maryline Vinclaire.



Maryline Vinclaire, directrice générale adjointe des Solidarités.

L'ADF était en effet bien plus ambitieuse. «On souhaitait que l'État prenne entièrement à sa charge le RSA, mais ça n'a pas abouti», raconte Christian Manable. Pourquoi? «Il faudrait refondre le système de financement global», répond Maryline Vinclaire. Toucher à l'ensemble du système fiscal. Or, ce n'est pas d'actualité. «Le Grand Soir de la fiscalité, on va l'attendre encore longtemps, lance Christian Manable. Ce genre de réforme aurait des conséquences en cascade, et personne n'aura le courage politique de s'y attaquer.»